[Résumé] Influence du travail et du climat sur le comportement de roulade des mules et des chevaux – M.P.F. Luz et al., 2021
Mais pourquoi se roulent-ils ? Comportements et motivations des mules et des chevaux.
Introduction
Toilettage, marquage olfactif, régulation de la température…, en milieu naturel, les roulades semblent avoir plusieurs fonctions selon l’espèce considérée : ânes, chevaux ou zèbres.
Les études en milieu domestique sont plus rares, voire inexistantes concernant les espèces hybrides telles que les mules. Pourtant, selon les régions du monde, les équidés domestiques peuvent être soumis à de rudes travaux de traction ou de portage sous des climats très chauds. Dans ces conditions, se rouler joue probablement un rôle important pour le confort des animaux. Hélas, ce comportement est parfois négligé par les propriétaires, voire empêché du fait d’un hébergement trop petit (box, stalle).
Dans la présente étude, Marina P. F. Luz et ses collaborateurs s’attachent à décrire les comportements de roulade des mules et des chevaux soumis à différents degrés de travail et à des variations climatiques. L’équipe émet deux hypothèses :
La fréquence des roulades augmentera avec un travail intense et des températures plus chaudes.
Les mules exprimeront des comportements spécifiques à leur espèce hybride.
Méthode
8 mules et 8 chevaux, mâles et femelles adultes dans les deux groupes, sont impliqués dans l’étude. Individuellement, les équidés sont soumis à trois traitements de travail d’intensité différente (Tableau 1), avant d’être relâchés et filmés dans une petite arène de sable durant 15 minutes. En plus, deux de ces traitements incluant une douche avant le lâcher en arène, sont également étudiés.
Tableau 1.Détail des cinq traitements.
1 traitement par jour et 1 groupe (8 équidés) / jour observés à des heures différentes de la journée.
160 jours d’expérimentation sont menés comme suit : 20 jours pour chaque traitement T0, T1 et T2 et par groupe, ainsi que 10 jours par traitement avec douche et par groupe. L’ordre de passage, des groupes, des individus et des traitements, est aléatoire. La température et l’humidité sont mesurées quotidiennement à l’aide d’un thermomètre à globe mouillé.
L’analyse des vidéos permet de relever les comportements de roulade selon le répertoire correspondant (Figure 1), ainsi que l’endroit de roulade choisi par chaque équidé (identique ou non à un autre individu de la journée). Puis ces données sont comparées pour déterminer l’influence de l’intensité du travail, de la douche et des conditions climatiques sur les comportements de roulade de chaque espèce.
Résultats
Plus l’intensité du travail augmente, plus les chevaux se roulent (p-value p < 0,0001) mais pas les mules (p < 0,0043) (Fig.2).
Douchées, les deux espèces se roulent fréquemment et les mules plus que les chevaux. Douchés, les chevaux se roulent aussi fréquemment quelle que soit l’intensité du travail réalisé avant (fig.2).
Les conditions climatiques influencent les mules qui se roulent plus fréquemment par temps chaud et humide, ainsi que par temps froid et sec après la douche (p < 0,05).
Les mules se roulent significativement plus au même endroit qu’un précédent congénère (70% des roulades contre 30% pour les chevaux p < 0,05).
Excepté mâchouiller, renifler le sol et se secouer, les comportements ne sont pas exprimés en proportion égale d’une espèce à l’autre, et seules les mules fouaillent de la queue (Fig. 3).
Discussion
Cette étude montre que mules et chevaux n’ont pas les mêmes motivations pour se rouler : les chevaux semblent avoir besoin de s’étirer après l’effort tandis que les mules y trouveraient thermorégulation, toilettage et marquage olfactif. Les manières de faire diffèrent sur certains points, laissant apparaître des spécificités liées à l’espèce.
Dans tous les cas, les roulades apparaissent indispensables au bien-être des équidés. Il apparaît donc nécessaire que la vie domestique permette à chaque équidé d’exprimer ce comportement selon les particularités de son espèce.
En savoir plus sur le protocole
En savoir plus sur le protocole
L’étude se déroule dans une ferme semi extensive dédiée à l’enseignement et à la recherche sur les équidés de l’Université de médecine vétérinaire et de la science animale de Sao Paulo au Brésil. Les animaux sont hébergés en pâture et sont complémentés en minéraux et en granulés selon les besoins (travail, saison). Ils sont utilisés pour des cours académiques ou la formation à la gestion et aux soins des animaux.
La mule est une race hybride issue du croisement d’un âne et d’une jument, ce qui est rarement observé en milieu naturel. La littérature sur cette espèce est plutôt lacunaire.
Comment sont définis les traitements de l’étude ?
Un test pilote est réalisé en amont de l’étude pour définir les trois traitements de travail. Quatre critères sont pris en compte : la durée de l’exercice, l’allure (pas, trot, galop), le poids du cavalier et de l’équipement, et la variation de la température à la surface du corps du cheval mesurée avant et après l’effort demandé. Selon le degré d’augmentation de celle-ci, le traitement est jugé nul = T0 (aucun changement), moyen = T1 (+ > 0,52°C) ou intense = T2 (+ > 1,13°C).
Le répertoire comportemental des roulades des mules étant inexistant, les auteurs ont mené une étude préliminaire en 2016 pour en créer un. Cette étude a donné lieu à la publication d’un article en 2022 dans le Journal of Veterinary Behavior 50 : « Preliminary findings in the rolling behavior of Mules (Equus caballus x Equus asinus) ».
L’étude préliminaire en quelques lignes
17 chevaux et 11 mules hébergées en liberté ont été observées durant 2 jours (2 x 12h). Les comportements de roulade ont été filmés puis analysés pour établir le répertoire comportemental chez les chevaux et les mules.
Il en ressort quelques différences. Les mules fouaillent de la queue nettement plus, se toilettent davantage et passent plus de temps à se reposer couchées que les chevaux.
Les motivations pour se rouler sont également apparues différentes selon les espèces : la facilitation sociale est nettement plus marquée chez les mules (89% des cas contre 10% pour les chevaux, p < 0,05) qui se roulent significativement plus que les chevaux (3,9 fois ± 1,28 en moyenne contre seulement 1,55 fois ±0,88 pour les chevaux, p = 0,0003).
L’utilisation du même endroit de roulade est significativement plus fréquent chez les mules (67% des cas contre 28% pour les chevaux, p < 0,05). Ce dernier point a probablement une fonction de marquage olfactif, comportement territorial supposé issu des origines asines des mules.
Le temps de roulade moyen des chevaux est de 50 secondes contre plus du double pour les mules (118 s.).
Les chevaux utiliseraient les roulades pour s’étirer après l’effort : la fréquence des roulades augmente avec l’intensité du travail, ils frottent plus fréquemment leur encolure et leur tête au sol et préfèrent les demi – roulades aux roulades complètes.
L’influence des conditions climatiques sur les mules s’explique probablement par leur nature hybride (croisement âne- jument) ; les ânes n’apprécient ni le froid ni l’humidité. Les mules utiliseraient donc les roulades pour réguler leur température.
Ces deux espèces semblent donc avoir chacune leurs raisons pour se rouler mais elles partagent un déclencheur commun : l’eau. Si du point de vue humain, doucher les équidés permet de les garder propres en les débarrassant notamment de la sueur, du point de vue de l’animal, cela ne semble pas être confortable. Il est possible que l’eau dérange la composition naturelle du pelage et perturbe la diffusion des odeurs corporelles. Également en saison froide, l’animal a plus de difficulté de se thermoréguler s’il est mouillé, ce qui expliquerait le recours à la roulade pour débarrasser le poil de l’humidité.
Concernant les comportements, les mules montrent des spécificités :
le fouaillement de la queue, quasi inexistant chez les chevaux, est probablement un comportement issu de leur géniteur, qui émet ce même comportement. Aujourd’hui, les raisons n’en sont pas claires : est-ce un signe d’émotion positive exprimant le plaisir de se rouler ? Ou bien est-ce un moyen physique d’éviter l’entrée de poussière dans les parties génitales ou de chasser les insectes ?
l’utilisation du même endroit de roulade qu’un précédent congénère. Il est possible que ce comportement soit lié au marquage olfactif. L’individu vient masquer l’odeur d’un congénère en déposant sa propre odeur corporelle par-dessus pour marquer son territoire. Il s’agit probablement d’un comportement hérité des ânes, animaux territoriaux contrairement aux chevaux. NDLR : Contrairement à l’étude préliminaire, il n’est pas question ici de facilitation sociale puisque chaque équidé est observé individuellement.
Enfin, mules et chevaux partagent aussi plusieurs comportements et notamment le mâchouillement qui reflèterait un état de relaxation selon de précédentes études.
Se rouler, quelles qu’en soient les raisons et la manière de le faire, apporte du bien-être aux animaux. Les conditions d’hébergement et d’utilisation des équidés domestiques doivent donc leur permettre d’exprimer ce comportement en tenant compte des besoins spécifiques de chaque espèce.
Note : Les résumés publiés sur le site Sciencesequines.fr sont issus d’études scientifiques qui sont parues dans des revues officielles et qui n’engagent que leurs auteurs. Nos rédacteurs.trices peuvent parfois y ajouter des commentaires qui sont systématiquement annoncés par le sigle NDLR (Note de la rédaction)
Références
Références
Cet article a été résumé par Lucie Chazallon et relu par Lucie Beugnet et Amélie Rousseau. Les illustrations sont de Lucie Chazallon. La photo d’illustration est issue de Pixabay.
Référence complète de l’article
Luz M.P.F., Maia C.M., Gonçalvez H.C., Puoli Filho J.N.P., (2021). Influence of workload and weather conditions on rolling behaviour of horses and mules, Behavioural Processes,https://doi.org/10.1016/j.beproc.2021.104433
Référence complète de l’étude préliminaire
Luz M.P.F., Maia C. M., Puoli Filho J.N.P., (2022). Preliminary findings in the rolling behavior of Mules (Equus caballus x Equus asinus), Journal of Veterinary Behavior, 50, 7- 12, https://doi.org/10.1016/j.jveg.2021.11.006
Quelques références intéressantes citées dans l’article
Caanitz H., O’Leary L., Houpt, K., Petersson K., Hintz H., 1991. Effect of exercise on equine behavior. Appl. Anim. Behav. Sci. 31, 1–12. https://doi.org/10.1016/0168-1591(91)90148-Q
Canacoo E.A., Avornyo F.K., 1998. Daytime activities of donkeys at range in the coastal savanna of Ghana. Appl. Anim. Behav. Sci. 60, 229–234. https://doi.org/10.1016/S0168-1591(98)00167-1
McLean, A., Varnum, A., Ali, A., Heleski, C., Navas González, F.J., 2019. Comparing and contrasting knowledge on mules and hinnies as a tool to comprehend their behavior and improve their welfare. Animals 9, 488. http://dx.doi.org/10.3390/ani9080488.
[Résumé] Influence du travail et du climat sur le comportement de roulade des mules et des chevaux – M.P.F. Luz et al., 2021