Miroir, mon beau miroir…

Cheval en train de rentrer dans un van et qui regarde par en arrière.

Introduction

Transporter des équidés entraîne potentiellement beaucoup de stress, que ce soit pour le cheval ou son propriétaire. Les problématiques ne sont pas rares dans ce contexte, notamment au moment d’embarquer ou lors du trajet. Cela peut s’accompagner d’un stress psychique et physiologique, d’une baisse de performance…

Les chevaux peuvent également être isolés durant le voyage, qui peut être plus ou moins long ! Mais si l’on ne peut pas embarquer un autre cheval avec le nôtre, comment faire ? Plusieurs études s’intéressent à l’installation de miroirs afin de pallier un manque de congénère, tant pour les chevaux (miroir placé dans les stalles : réduction des stéréotypies) que d’autres espèces (vaches et moutons : diminution du stress d’isolement). Cependant, aucune étude ne teste à ce jour l’effet qu’un miroir peut avoir sur le stress d’un équidé transporté seul : c’est ce que les autrices proposent de faire ici.

Les chercheuses Rachel Kay & Carol Hall comparent des critères physiologiques et comportementaux de chevaux lors de 3 situations : transport du cheval seul sans miroir, avec un miroir ou bien en présence d’un congénère.

Méthode

12 chevaux et poneys adultes de loisir, n’ayant pas l’habitude d’être transportés, suivent un entraînement afin d’être habitués à embarquer tranquillement dans un van. Porter des protections de transport et être en présence d’un miroir leur est également devenu familier.

Chaque équidé est transporté 3 fois, une dans chaque situation :
– Seul
– Seul avec un miroir
– Avec un congénère

Un voyage standardisé d’environ 10km / 30min est effectué pour chaque situation. Les chercheuses prennent différentes mesures, physiologiques et comportementales :
– Rythme cardiaque : avant l’embarquement et pendant le voyage
– Températures rectale et d’oreilles : avant/après l’embarquement, et après le voyage
– Comportements : vocalisations, fait de tourner la tête, phases d’alimentation (filet à foin), raclement (antérieur) et mouvements brusques de tête (ou torsion d’encolure).

D'après le point de vue de la caméra, on voit un cheval placé dans le van à droite, un filet à foin devant lui ; il porte une ceinture derrière le garrot permettant de mesurer son rythme cardiaque. Le champ de vision de l'appareil est aussi large que possible, permettant de noter une variété de comportements exprimés par le cheval.
Figure 1. Point de vue de la caméra placée dans le van ; dans le cas où le miroir est installé, on le place sur la paroi gauche. © Kay & Hall, 2009.

Résultats

Données comportementales

La présence du miroir ou d’un congénère pendant le transport réduit significativement la durée des vocalisations (p-value, p<0,05), les mouvements brusques de tête, les raclements (antérieur) et le fait de tourner la tête, par rapport à un voyage seul. De la même manière, on observe une augmentation du temps d’alimentation.

La seule différence significative observée entre les situations “miroir” et “congénère” est que dans cette dernière, les chevaux tournent moins la tête.

Figure 2. Durée moyenne (+/- écart-type) des comportements notés, par situation ; les étoiles indiquent que les résultats sont significativement différents de la situation “voyage seul”.

Données physiologiques

Le pic le plus élevé du rythme cardiaque est observé en voyageant seul : 75 battements par minute en moyenne, contre 70 avec miroir et 67 avec compagnon. La différence n’est ressortie significative qu’entre les situations “seul sans miroir” et “avec compagnon” (diminution).

Après un voyage seul, une augmentation significativement plus grande de la température rectale est observée par rapport à un voyage accompagné. On retrouve un profil similaire pour la température des oreilles (avec une diminution cette fois).

Discussion

Les autrices supposent qu’en voyageant avec un miroir, le cheval ne se sent plus si seul. Le fait que les chevaux mangent durant le transport (miroir/congénère) est également encourageant. S’alimenter tout en restant calme permet au cheval de ne pas perdre trop d’énergie durant le transport.

D’autres études démontrent un effet tampon sur le stress d’isolement, le miroir pouvant agir comme une distraction. Le doute persiste quant au fait que le cheval perçoit ou non ce reflet comme étant lui-même, sur sa capacité à se reconnaître ou reconnaître un congénère dans un miroir.

L’isolement pendant le transport en van étant associé à des signes comportementaux et physiologiques de stress, il est recommandé de transporter les chevaux avec un congénère familier. Si cela n’est pas possible, souvent pour des raisons pratiques, utiliser un miroir de voyage serait ainsi préférable.

En savoir plus sur le protocole

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Les chevaux
5 juments et 7 hongres de races variées de 8 à 22 ans, chevaux ou poneys, sont impliqués dans l’étude. Les équidés vivent ensemble en pâture au sein d’un seul groupe social, et n’ont pas l’habitude d’être transportés – un haut van deux places est utilisé pour l’étude.

Le dispositif
Dans le van, le cheval test est placé à droite et le miroir sur la paroi gauche ; celui-ci est installé juste après l’embarquement de l’équidé. Pour les observations, une caméra est accrochée sur la paroi centrale du van, à l’arrière. Une ceinture permettant de mesurer le rythme cardiaque est installée sur les animaux. L’équipe de chercheuses a également un thermomètre thermique à disposition afin de relever (à distance !) la température des oreilles des chevaux, et un thermomètre rectal.

Le voyage
Il comprend virages et lignes droites, mais pas de dénivelés. Les passages s’effectuent selon un ordre pseudo-aléatoire afin d’éviter un effet d’ordre (répartition homogène des 3 types de passages entre les 12 chevaux de l’étude). Entre chaque passage s’écoulent au moins 48h pour chaque cheval.

Le déroulement des passages
Le matin, le cheval est amené au box avec foin à volonté. On lui installe la ceinture permettant de mesurer son rythme cardiaque. 20min d’habituation s’écoulent, puis des mesures physiologiques sont faites avant de commencer : le rythme cardiaque (toutes les minutes) est mesuré, mais aussi les températures (rectum/oreilles). Ensuite, on équipe le cheval de guêtres de transport et d’une protection de queue. On le fait marcher un peu, puis on l’embarque dans le van. Une fois embarqué, on active le cardiofréquencemètre et la caméra pour les comportements, puis on reprend les températures une deuxième fois. Puis c’est parti pour un petit voyage ! A la fin, on éteint la ceinture et la caméra, et les températures sont prises une dernière fois. Enfin, le cheval est débarqué et emmené au box de nouveau, où on lui enlève tout ce patatra avant de le ramener au pré.

En savoir plus sur les résultats

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Quelques mots sur leur interprétation…

Les auteurs soulignent l’importance du répertoire vocal des chevaux dans la cohésion sociale. Les vocalisations émises par les chevaux de l’étude seraient un appel aux congénères, comme le font classiquement les animaux lors d’un isolement social. De même, tourner la tête permettrait de chercher un contact visuel avec les copains.

Les mouvements brusques de tête traduiraient quant à eux un “mal des transports” ou en tous cas une forme d’inconfort chez le cheval.

Le fait de racler avec un antérieur peut être considéré comme un signe de frustration et est relié dans la littérature à un stress d’isolement. Ce comportement semble se manifester lorsque le van est à l’arrêt, indiquant potentiellement la volonté de sortir de l’équidé (et n’étant que peu permis durant le voyage à cause de la perte d’équilibre qu’il entraînerait).

Si l’on s’intéresse aux températures, des études antérieures sur le stress de moutons relèvent une relation inverse similaire entre les températures rectale et d’oreilles, leur augmentation et diminution respectives lors d’un transport seul sans miroir pouvant être le signe d’une vasoconstriction, reflétant ainsi une réaction de défense.

NB : les autrices soulignent que les mesures de la température des oreilles sont assez variables entre individus. L’utilisation de cette méthode étant relativement récente, les données “normales” ne sont pas encore disponibles pour les chevaux ; cela mérite de futures recherches !

Note : Les résumés publiés sur le site Sciencesequines.fr sont issus d’études scientifiques qui sont parues dans des revues officielles et qui n’engagent que leurs auteurs. Nos rédacteurs.trices peuvent parfois y ajouter des commentaires qui sont systématiquement annoncés par le sigle NDLR (Note de la rédaction)

Références

Références

Cet article a été résumé par Juliane Demellier. Il a été relu par Charlotte Becht-Pierret et Lucie Beugnet.
L’illustration est de Lucie Chazallon.
La photo d’illustration est d’Amélie Rousseau.

Référence complète de l’article 

Kay R & Hall C (2009). The use of a mirror reduces isolation stress in horses being transported by trailer. Applied Animal Behaviour Science, 116(2-4): 237–243.

Quelques références intéressantes citées dans l’article

Jezierski T & Gorecka A (1999). Relationship between behavioural reactions and heart rate in horses during transient social isolation || Relation entre réactions comportementales et rythme cardiaque chez les chevaux durant un isolement social temporaire. Animal Science Papers and Reports. Polish Academy of Sciences. Institute of Genetics and Animal Breeding, 17(3): 101–114.

Mills DS & Davenport K (2002). The effect of a neighbouring conspecific versus the use of a mirror for the control of stereotypic weaving behaviour in the stabled horse || L’effet d’un conspécifique voisin ou d’un miroir sur le comportement stéréotypique de weaving chez le cheval en box. Animal Science, 74(1): 95–101.

Stull CL, Spier SJ, Aldridge BM, Blanchard M & Stott JL (2010). Immunological response to long-term transport stress in mature horses and effects of adaptogenic dietary supplementation as an immunomodulator || Réponse immunitaire au transport long-terme chez des chevaux adultes et effets d’une supplémentation alimentaire adaptogène en tant qu’immunomodulateur. Equine Veterinary Journal, 36(7): 583-589.

[Résumé] L’utilisation d’un miroir réduit le stress d’isolement des chevaux durant leur transport − Kay & Hall, 2009
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