[Résumé] La liberté de mouvement, un facteur-clé de bien-être pour les chevaux de sport ? – Clémence Lesimple et al., 2020
Comment améliorer le bien-être des chevaux de sport en moins d’une heure par jour ?
Résumé
Introduction
Les chevaux de sport sont le plus souvent hébergés en box individuel sans pouvoir bénéficier de sortie dans un espace suffisamment grand pour se mouvoir librement sans contrainte imposée par l’homme. Ce choix de gestion repose sur des craintes telles que la peur des blessures potentielles liée au phénomène de rebond lorsque les chevaux sont lâchés au paddock. Par ailleurs, il est prouvé que l’hébergement en box favorise l’apparition d’indicateurs d’altération du bien-être comme les comportements stéréotypiques.
L’étude de Clémence Lesimple et ses collègues vise à :
Évaluer la faisabilité, en termes d’habituation et de risque potentiel, d’offrir des sorties quotidiennes au paddock à des chevaux de sport adultes vivant en box individuel sans sorties autres que celles pour l’entraînement.
Évaluer les conséquences de ces sorties quotidiennes sur leur bien-être à travers des indicateurs comportementaux, posturaux et physiologiques.
Évaluer leur durabilité après l’arrêt des périodes quotidiennes de sorties au paddock.
Méthode
29 chevaux de sport adultes, tous hébergés en box individuel et non habitués à sortir au paddock, sont impliqués dans l’étude. Ils ont tous un accès semi-continu au foin (une quantité de 9 kgs de foin, déterminée par un vétérinaire, répartie en deux distributions égales, le matin et l’après-midi).
L’étude se divise en deux expérimentations successives de trois et quatre semaines au total. Elle consiste à comparer un groupe de chevaux témoins restant au box à un groupe de chevaux expérimentaux mis en liberté moins d’une heure par jour. Les périodes de mise en liberté s’étalent sur trois semaines durant la première expérimentation et sur deux semaines durant la seconde. Le même soigneur sort les chevaux par paire dans des paddocks individuels adjacents sans contact physique possible entre eux. De l’eau et du foin en slow-feeder y sont à disposition.
A la fin de chaque sortie quotidienne, les soigneurs sont interrogés sur les éventuelles difficultés rencontrées (manipulation risquée, blessures des chevaux…) pour en évaluer la faisabilité.
Différents indicateurs sont utilisés pour évaluer l’habituation (Tableau 1) et le bien-être (Tableau 2) des chevaux.
Tableau 1. Indicateurs étudiés pour évaluer l’habituation.
Tableau 2. Indicateurs étudiés pour évaluer le bien-être des chevaux.
Résultats
Des comportements d’excitation sont observés sur les chevaux sortis pendant les 3 à 4 premiers jours, puis les chevaux s’habituent rapidement au profit du temps passé à s’alimenter. Aucune blessure ni difficulté particulière n’a été constatée par les soigneurs.
Les sorties au paddock montrent une amélioration rapide du bien-être à court-terme mais leur arrêt provoque une dégradation immédiate des effets positifs observés. La fréquence des stéréotypies et de la position des oreilles en arrière pendant l’alimentation diminue lors des périodes de sortie comparativement aux chevaux témoins restés en box mais ré-augmente dès la première semaine après l’arrêt des sorties quotidiennes.
Aucune différence significative n’est mise en évidence entre les groupes expérimentaux et témoins sur les paramètres de la NFS et les taux de sérotonine. Seule l’augmentation du taux d’ocytocine après la période de sorties quotidiennes semble mettre en évidence une amélioration possible des émotions positives chez les chevaux du groupe expérimental.
Discussion
Cette étude montre qu’offrir aux chevaux de sport un accès régulier et ininterrompu à des périodes de sorties au paddock est possible et sans risque particulier. Les résultats sont remarquables dans la mesure où les chevaux sont mis en liberté moins d’une heure par jour. Il est aussi intéressant de constater que répondre aux besoins alimentaires des chevaux en leur proposant un accès au foin contribue à faciliter l’habituation à la situation nouvelle.
Combiner un temps de sortie, même court, avec du foin à disposition semble être une solution simple pour améliorer le bien-être des chevaux hébergés en box, même s’il serait souhaitable que les temps de sorties soient plus longs et que les chevaux puissent avoir des interactions sociales.
Enfin, la liberté de mouvement ne faisant partie d’aucune réglementation internationale en vigueur, les résultats de cette étude, associés à la littérature scientifique déjà existante, suggèrent que l’exigence d’un temps dédié devrait y être ajoutée.
En savoir plus sur le protocole
En savoir plus sur le protocole
L’étude a lieu à l’Ecole Nationale d’Equitation à Saumur sur 29 chevaux. Leurs caractéristiques sont les suivantes :
les chevaux sont essentiellement de race Selle-Français ;
ils sont âgés entre 9 et 15 ans ;
ils sont tous hébergés en box individuel, avec une heure monté par jour (et occasionnellement au marcheur ou sur tapis roulant) ;
ils n’ont jamais fait l’expérience de sorties au paddock depuis leur arrivée dans la structure, pour la plupart vers l’âge de 4 ou 5 ans.
Les chevaux ont été initialement répartis de façon aléatoire entre le groupe témoin (au box) et le groupe expérimental (avec sorties au paddock). La durée des sorties au paddock en journée (du lundi au vendredi) s’étalait de 39 à 62 minutes.
L’étude se divise en deux expérimentations successives :
La première, d’une durée de trois semaines (avec mise au paddock), s’intéresse aux effets de la liberté de mouvement sur le bien-être pendant les périodes de mise en liberté ;
La seconde, d’une durée de quatre semaines (dont deux avec mise au paddock), s’intéresse aux effets de la liberté de mouvement sur le bien-être après l’interruption des mises en liberté afin de déterminer la durabilité des effets positifs.
Les deux expérimentations évaluent l’habituationdes chevaux à la mise au paddock.
Afin de confirmer les résultats de la première étude, 7 couples de chevaux impliqués dans la première expérimentation ont changé de statut dans la deuxième expérimentation en devenant à leur tour, témoins (sans sortie au paddock) ou expérimentaux (avec sortie).
Afin de limiter l’impact des potentiels effets aversifs de la prise de sang sur les paramètres physiologiques étudiés, les prélèvements sanguins étaient inclus à ceux réalisés dans le contrôle sanitaire de routine à l’ENE.
En savoir plus sur les résultats
En savoir plus sur les résultats
Faisabilité des sorties quotidiennes au paddock
Les soigneurs n’ont rapporté :
aucune difficulté particulière à conduire les chevaux aux paddocks ou aux boxes ;
aucune boiterie franche ou blessure majeure qui aurait demandé des soins particuliers.
Malgré la présence d’un phénomène de rebond les premiers jours, les comportements d’excitation et d’alerte ont diminué significativement entre les premiers et les derniers jours de sortie au paddock (p-value p < 0,01), tandis que le temps passé à s’alimenter a augmenté significativement (p < 0,005).
La possibilité de s’alimenter au paddock a pu encourager les chevaux à s’orienter vers leur deuxième ration de foin pour manger plutôt qu’à présenter des comportements locomoteurs importants.
Aucune différence significative de comportement (p > 0,05) n’a pu être mise en évidence les deux derniers jours de sortie (J13 et J14), suggérant une stabilisation des comportements des chevaux (Fig 1.). L’effet rebond lié à la mise en liberté a donc disparu.
État de bien-être des chevaux
A la fin des périodes de mise en liberté quotidienne au paddock, les chevaux expérimentaux :
ont passé significativement moins de temps que les chevaux témoins avec les oreilles vers l’arrière pendant l’alimentation, et ce dès la première semaine.
Dans les deux cas, le temps passé avec les oreilles vers l’arrière a diminué immédiatement au début de la période de sortie au paddock et a augmenté instantanément après son arrêt.
Les résultats de la deuxième expérimentation qui inclut les chevaux ayant changé de statut (témoin <=> expérimental) entre les deux périodes d’essai sont similaires à ceux présentés ci-dessus, confirmant les effets bénéfiques d’une mise en liberté sur le bien-être des chevaux.
Les paramètres de la NFS n’ont quant à eux pas différé avant et après la période de sortie lors de la première expérimentation. Il est à noter que les chevaux présentant des stéréotypies montraient des vitesses de sédimentation plus élevées que ceux n’ayant pas de comportements stéréotypiques.
Durabilité des effets
Les effets bénéfiques des mises au paddock sur le bien-être sont de courte durée puisque dès que la période de sortie quotidienne s’arrête, la fréquence des deux indicateurs étudiés (position des oreilles et stéréotypies) augmente, atteignant même des valeurs supérieures au niveau basal avant l’expérience (Fig 2.). L’augmentation des valeurs de ces indicateurs d’altération du bien-être au-delà du niveau initial après l’arrêt des sorties pourrait être liée à une augmentation de la frustration des chevaux.
La période de mise en liberté était sans doute trop courte pour avoir un impact sur l’état interne des chevaux. L’évaluation de la vitesse de diminution des taux de sérotonine tout au long de la journée pourrait être plus efficace pour détecter les impacts positifs potentiels des temps de liberté de mouvement sur le système sérotoninergique des chevaux.
Malgré l’absence de troubles pathologiques déclarés, les chevaux de l’étude présentaient tous des anomalies de NFS qui ont subsisté après la période de sortie au paddock. Celle-ci n’était sans doute pas assez longue pour retrouver une NFS dans les normes. Les auteurs de l’étude mettent en avant que ces données montrent que des conditions de vie restreintes impactent inévitablement la santé des chevaux.
NDLR : Toutefois, les modalités d’entraînements des chevaux ou leur régime alimentaire auraient aussi pu impacter les valeurs des paramètres sanguins. Il serait intéressant de réaliser une étude comparative avec des chevaux vivant dans des conditions d’hébergement différentes mais alimentés et entraînés de la même façon, de sorte à pouvoir confirmer que ce sont les conditions de vie restreintes qui induisent les anomalies de formule sanguine.
Note : Les résumés publiés sur le site Sciencesequines.fr sont issus d’études scientifiques qui sont parues dans des revues officielles et qui n’engagent que leurs auteurs. Nos rédacteurs.trices peuvent parfois y ajouter des commentaires qui sont systématiquement annoncés par le sigle NDLR (Note de la rédaction)
Références
Les références
Cet article a été résumé par Laura Steinmetz et relu par Claire Bartholini, Lucie Chazallon, Stéphanie Ronckier, Hélène Roche et Amélie Rousseau. Il a été mis en ligne par Kathleen Aubert.
Les illustrations sont de Lucie Chazallon. La photo de bannière appartient à Sarah H.
Référence complète de l’article
Clémence Lesimple, Lola Reverchon-Billot, Patrick Galloux, Mathilde Stomp, Laetitia Boichot, Caroline Coste, Séverine Henry, Martine Hausberger, (2020). Free movement: A key for welfare improvement in sport horses?, Applied Animal Behaviour Science, Volume 225, 104972. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2020.104972
Quelques références intéressantes citées dans l’article
Lesimple, C., Poissonnet, A., Hausberger, M., 2016. How to keep your horse safe? An epidemiological study about management practices. Appl. Anim. Behav. Sci. 181,105–114. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2016.04.015.
Popescu, S., Diugan, E., 2017. The relationship between the welfare quality and stress index in working and breeding horses. Res. Vet. Sci. 115, 442–450. https://doi.org/ 10.1016/j.rvsc.2017.07.028.
Waring, G.H., 2003. Horse Behavior, second ed. Noyes Publications William Andrew publishing, Norwich, New York.
[Résumé] La liberté de mouvement, un facteur-clé de bien-être pour les chevaux de sport ? – Clémence Lesimple et al., 2020