[Résumé] « Les facteurs sociaux en jeu dans l’affiliation et la cohésion au sein d’une population de chevaux féraux », R.S. Mendonça et al., 2021
Comment se tissent les liens entre les chevaux ?
Observation en milieu naturel
Résumé
Introduction
Dans le milieu sauvage, vivre en groupe permet de mieux se protéger des prédateurs, de maximiser les stratégies de recherche de nourriture et de faciliter le transfert des connaissances par l’apprentissage social. Mais comment se construit la cohésion nécessaire à la survie du groupe ? L’équipe de R.S. Mendonça a observé plusieurs groupes de chevaux férauxdu nord Portugal pour comprendre comment les relations entre les chevaux s’établissent et se maintiennentdans le temps. Les comportements affiliatifs renforcent les liens entre deux individus, mais ces comportements ne s’observent pas entre tous les chevaux ; ils ont leur partenaire préféré. L’équipe a cherché à déterminer sur quels facteurs repose ce choix et a formulé plusieurs hypothèses :
Les chevaux ont des comportements affiliatifs de préférence avec des congénères de même sexe, de même rang hiérarchique, et avec lesquels ils sont familiers, c’est à dire qu’ils connaissent et côtoient depuis plus d’un an ;
Le sexe, le rang hiérarchique, et la familiarité sont les facteurs les plus déterminants dans la cohésion de groupe.
Méthode
16 groupes de poneys Garrano vivant en totale liberté, soit 84 individus, sont observés. Les groupes se composent de 3 à 9 individus : un étalon (ou deux étalons en alliance), des juments et parfois un ou deux jeunes de moins de 3 ans.
Les observations, à une distance de 5 à 10 mètres, durent maximum 1h par jour et sont filmées en continu. Tous les comportements sociaux (affiliatifs et agonistiques) sont décrits à haute voix et associés au nom du cheval concerné tout au long de la prise vidéo pour faciliter l’analyse par la suite. Parallèlement, un autre chercheur prend des photographies aériennes du groupe grâce à un drone toutes les 10 minutes pour étudier le positionnement précis des chevaux et les distances entre les individus.
La proximité et le toilettage mutuel sont les deux variables choisies pour observer les comportements d’affiliation par dyades, c’est -à -dire entre deux chevaux. La distance entre tous les individus, quant à elle, permet d’évaluer la cohésion du groupe : plus elle est grande, moins la cohésion est forte.
Dans les analyses, six facteurs – sexe, rang hiérarchique, parenté génétique, familiarité, stabilité et taille du groupe – sont pris en compte pour savoir s’ils ont une influence, positive ou négative, sur les trois variables.
Résultats
La familiarité apparaît comme le facteur le plus déterminant dans le renforcement des liens. L’homophilie par sexe joue également un rôle important dans la proximité. A l’inverse un rang hiérarchique similaire n’a que peu d’effet et la parenté génétique (supposée avoir une faible influence sur les comportements affiliatifs) se révèle même être un facteur d’éloignement. Enfin, plus le groupe est grand, moins les liens sont forts entre les individus (Tableau 1).
Tableau 1. Influence des facteurs sociaux sur les trois variables observées. + effet favorable, – effet défavorable, 0 aucun effet.
Les taux de comportements affiliatifs 2018 et 2019, tous groupes confondus, révèlent que proximité et toilettage mutuel ne vont pas de pair : la proximité obtient des scores de 96% et 98% tandis que le toilettage mutuel n’est observé que pour 24% et 38% des dyades.
Discussion
La familiarité est le facteur le plus déterminant dans les comportements affiliatifset donc dans la préservation de la cohésion du groupe. Les études antérieures n’avaient pas pu mettre ce facteur en évidence puisqu’elles observaient des groupes déjà familiers. La familiarité ne doit pas être confondue avec la parenté génétique qui a l’effet inverse, évitant ainsi des relations incestueuses non bénéfiques à l’espèce. L’homophilie par sexe joue également un rôle important sur la proximité, pourtant ce facteur, contrairement à la familiarité, n’a pas d’effet sur le toilettage mutuel ce qui suggère que ces deux variables ont chacune des fonctions spécifiques. Les résultats sont pour la plupart cohérents avec ceux de précédentes études, mais des différences sont apparues concernant l’influence du rang hiérarchique et la parenté. En observant plusieurs groupes féraux, la stabilité des groupes et la dispersion des individus ont probablement joué un rôle important sur les résultats. C’est pourquoi les auteurs recommandent de poursuivre les recherches sur la dynamique sociale des chevaux féraux en tenant compte de la composition et de la stabilité des groupes.
En savoir plus sur le protocole
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Choix de la saison et interférences humaines
Bien qu’évoluant en totale liberté, les poneys Garrano appartiennent à des fermiers. Les interventions humaines sont rares et effectuéesen dehors de la saison de reproduction : recensement de la population et abattage aléatoire de quelques animaux (souvent mâles) pour la vente de la viande.
Choix des groupes analysés
1 à 6 groupes ont pu être observés par jour. Sur une même période d’observation, seuls les groupes stables (sans changement de composition parmi les membres) et pour lesquels au minimum 8 h d’observation avaient été réalisées ont été retenus pour l’étude – exception faite pour un groupe composé de 2 étalons en alliance et de juments. Cette configuration étant sous représentée (4 groupes en 2018 et 2 groupes en 2019), un groupe ayant été suivi uniquement 6h a été inclus.
Unité utilisée pour mesurer les distances et la proximité
La longueur de corps moyenne est l’unité de mesure choisie pour mesurer les distances entre les individus.Selon le protocole développé par Inoue et al. (2018, 2020), elle est calculée à partir des longueurs de corps des adultes du groupe allant de la base du cou à la naissance de la queue. Cette unité permettra également d’estimer la proximité : seront considérés proches, deux individus se trouvant à moins de 3 longueurs de corps l’un de l’autre, à partir du point central de chaque animal situé au milieu du dos.
Remarques complémentaires sur les facteurs
Sexe : 234 dyades analysées, composées de91 dyades de sexe différent et 148 dyades de même sexe (dont 5 mâle-mâle et 143 femelle-femelle).
Rang hiérarchique : l’ensemble de comportements agonistiques a été relevé pour établir la hiérarchie au sein des groupes selon une formule complexe, le David’s Score (David, 1987).
Familiarité : elle est définie par le temps passé au sein du même groupe. Il est fréquent que plusieurs groupes occupent le même territoire et que de fait, les chevaux se connaissent « de vue ». Dans l’étude, sont considérés comme « familiers » des individus appartenant au même groupe depuis plus d’un an.
Parenté génétique : des analyses génétiques sont effectuées entre 2017 et 2020 à partir de prélèvements de crottin pour établir le degré de parenté entre les individus.
Stabilité : un groupe est considéré stable d’une année sur l’autre si la proportion d’individus partis et intégrés entre deux saisons est inférieure ou égale à 50%.
Taille des groupes : de 5 à 9 individus en 2018, et de 3 à 6 individus en 2019.
En savoir plus sur les résultats
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Composition des groupes de chevaux
Le rang hiérarchique le plus haut est occupé par une jument dans 12 groupes sur 16. Mais c’est aussi systématiquement la jument la plus jeune qui occupe le rang le plus bas. En moyenne, les mâles ont un rang plus élevé que les juments.
La parenté est relativement faible puisqu’en moyenne 10% des dyades partagent des gènes au 2ème degré (fraternité) et 20% au 3ème degré (cousinage). La stabilité et la taille des groupes ont changé entre 2018 et 2019 (départs, décès, intégrations). On constate que la distance inter-individuelle estlégèrement plus importante en 2019 qui compte plus de nouveaux groupes. Il apparaît aussi que proximité et toilettage mutuel ne vont pas de pair (Tableau 2).
Tableau 2. Comparaison entre 2018 et 2019, de la moyenne des distances inter-individuelles en longueur de corps et du taux de comportements affiliatifs (en % de dyades), tous groupes confondus.
Corrélation entre le rang hiérarchique et la stabilité du groupe
Les individus de rang différent sont plus proches les uns des autres dans les groupes stables (individus qui se connaissent depuis plus longtemps) alors que la distance augmente dans les nouveaux groupes, où se rapprocher d’un individu de même rang est une stratégie pour éviter les conflits.
Proximité et toilettage mutuel : des fonctions différentes
La proximité est influencée par l’homophilie par sexe. De précédentes études expliquent ce phénomène : le mâle, par la conduite, regroupe les juments entre elles ; les alliances de mâles permettent une meilleure défense du groupe ; les juments se regroupent pour s’occuper des poulains, les unes apprenant de l’expérience des autres ; les juments et leur poulain au centre du groupe sont protégés des attaques de prédateurs mais font aussi face aux agressions des mâles.
Pour autant,ce n’est pas parce que deux individus passent du temps côte à côte qu’ils ont plus de moments de toilettage mutuel, et inversement.Par exemple, le mâle qui passe la majorité de son temps à l’écart et autour du groupe, se rapproche de certaines juments pour des moments de toilettage mutuel. Ce comportement est bénéfique aux dyades de même sexe comme aux dyades de sexe différent parce qu’il participe à une forte cohésion de groupe en réduisant les tensions sociales et en renforçant les liens entre les individus.
Pour conclure, cette étude est la première à analyser les préférences d’affiliation des chevaux sur de multiples groupes féraux, et les auteurs ont largement documenté leurs recherches : 121 références bibliographiques ont étayé l’article. Le protocole a été pensé de façon standardisée et reproductible pour permettre la comparaison avec de futurs résultats : poursuivre les recherches sur la dynamique sociale des chevaux féraux peut permettre de mieux gérer les chevaux vivant en liberté, mais aussi d’améliorer les conditions de vie des chevaux domestiques.
Note : Les résumés publiés sur le site Sciencesequines.fr sont issus d’études scientifiques qui sont parues dans des revues officielles et qui n’engagent que leurs auteurs. Nos rédacteurs.trices peuvent parfois y ajouter des commentaires qui sont systématiquement annoncés par le sigle NDLR (Note de la rédaction)
Références
Les références
Cet article a été résumé par Lucie Chazallon, relu par Kathleen Aubert, Juliane Demellier, Hélène Roche et Laura Steinmetz et mis en ligne par Stéphanie Ronckier. Les illustrations sont de Claire Béjat et Lucie Chazallon. La photo de miniature et de bannière appartient à Escapade de Malou.
Référence complète de l’article
Renata S. Mendonça, Pandora Pinto, Sota Inoue, Monamie Ringhofer, Raquel Godinho, Satoshi Hirata, (2021), Social determinants of affiliation and cohesion in a population of feral horses, Applied Animal Behaviour Science 245, 105496 https://doi.org/10.1016/j.applanim.2021.105496
Quelques références intéressantes citées dans l’article
Inoue, S., Yamamoto, S., Ringhofer, M., Mendonça, R.S., Pereira, C., Hirata, S., 2018. Spatial positioning of individuals in a group of feral horses, a case study using drone technology. Mamm. Res. 64, 249–259. https://doi.org/10.1007/s1336,4–018–0400–2.
Inoue, S., Yamamoto, S., Ringhofer, M., Mendonça, R.S., Hirata, S., 2020. Lateral position preference in grazing feral horses. Ethology 1261, 111–119.
[Résumé] « Les facteurs sociaux en jeu dans l’affiliation et la cohésion au sein d’une population de chevaux féraux », R.S. Mendonça et al., 2021