En famille, l’étalon serait une figure paternelle plutôt cool.  

Au sein du groupe familial, l'étalon joue plusieurs rôles : reproduction, gestion des conflits entre les juments, protection du groupe des agressions extérieures. Mais quels sont ses liens avec sa progéniture?

Introduction

Naturellement, les groupes familiaux de chevaux se composent d’un étalon (ou plus rarement de l’association de deux), de plusieurs femelles et de plusieurs jeunes jusqu’à l’âge de deux ans environ. La présence de l’étalon, au-delà de son rôle de reproducteur, permet d’assurer la sécurité du groupe en repoussant les attaques de prédateurs et les agressions d’autres mâles. Il gère également les conflits entre les femelles et assure ainsi la stabilité du groupe. Les interactions sont donc nombreuses entre les adultes. 

Par contre, peu d’études se sont penchées minutieusement sur les relations entre l’étalon et les poulains du groupe. L’étalon a-t-il un rôle d’éducateur auprès de sa descendance ou y est-il complètement indifférent ? K. Šandlová et ses collaborateurs ont suivi deux groupes familiaux de poneys Exmoor pour observer en détail les interactions étalons – poulains et les comparer aux interactions des poulains avec les autres membres du groupe.

Méthode

Deux groupes familiaux de poneys Exmoor sont constitués un an en amont de l’étude, chacun dans une réserve de République tchèque. Les groupes vivent en autonomie, les interventions humaines sont rares mais les projets d’étude fréquents, rendant habituelle la présence d’humains à proximité. 

À partir de la saison de poulinage, plusieurs sessions d’observation sont étalées sur 7 mois (Tableau 1).

Tableau 1. Constitution des groupes et éléments du protocole.

Description du nombre d'individus par groupe selon sexe et âge et les caractéristiques de leur lieu de vie: 1 étalon par groupe, 14 juments par groupe et 12 naissances dans le groupe 1 , 10 dans le groupe 2. Le groupe 1 évolue sur 40ha tandis que le groupe 2 occupe 120ha

Un observateur placé entre 5 à 10 mètres des poneys répertorie toutes les interactions entre les individus (Tableau 2) et note quel animal initie l’interaction et qui en est le destinataire. Les poneys sont identifiés individuellement d’après leurs caractéristiques physiques (robe, taille, crins, marques…).

Tableau 2. Les comportements relevés selon le type d’interaction observée.

Détail des comportements relevés selon le type d' interaction  : agonistique (menace, coup de pied, bousculade etc.), amicale ( contact nez à nez, toilettage etc.), jeu et snapping

Ces données sont ensuite analysées pour quantifier les interactions selon leur catégorie et selon les individus impliqués : poulain ou pouliche, étalon, mère ou une autre femelle du groupe. La fréquence des interactions est également mesurée au fil du temps pour déterminer s’il y a des variations selon l’âge des poulains.

Résultats

De façon générale, les poulains adressent aux adultes significativement plus de comportements amicaux (38,9%) et de snapping (38,9 %) que de comportements de jeu (19,2%) ou agonistiques (10,9%), p-value p < 0,001. Les comportements agonistiques sont plus souvent adressés à d’autres poulains.

La cible adulte favorite des poulains est l’étalon, à qui les jeunes adressent plus de comportements amicaux et de jeu qu’aux femelles du groupe (Figure 1).

histogramme représentant la fréquence moyenne de chaque comportement émis par les poulains (snapping, amicaux, agonistiques ou jeu) en fonction des destinataires: autre jeune ( poulain ou pouliche), mère, autre jument, père.
Figure 1. Répartition des fréquences moyennes des comportements initiés par les poulains en fonction du destinataire, p-value p < 0,001. Les lettres indiquent les différences significatives par comportement entre les destinataires (une même lettre = aucune différence significative).

En retour, l’étalon apparaît plus tolérant envers les jeunes que les femelles du groupe (mère comprise). Quoique rarement, il peut même initier le jeu avec les jeunes mâles (Tableau 3).

Tableau 3. Proportion des comportements agonistiques et amicaux initiés par les différents adultes du groupe envers les poulains (p < 0,001).

Tableau présentant la proportion de comportements initiés par les adultes envers les poulains. Comportements agonistiques 78,3% de la part de l'étalon, 93,4 % de la part de la mère, 95,7% de la part des autres juments. Comportements amicaux: 18,1% de la part de l'étalon, 6,6% de la part de la mère, 4,3% de la part des autres juments.

Toutefois, les mères et l’étalon sont moins agressifs et plus amicaux envers les pouliches qu’envers les poulains (p < 0, 002).La fréquence des interactions sociales entre un poulain et les adultes évoluent dans le temps : elle augmente jusqu’à ses deux mois environ puis se réduit progressivement jusqu’à ses 6 mois.

Discussion

Cette étude est la première recherche complexe s’intéressant aux liens entre l’étalon et ses poulains tout en tenant compte de l’ensemble des individus du groupe familial. 

Le fait que les mères et les autres juments repoussent les sollicitations des poulains pourrait expliquer l’intérêt des jeunes envers l’étalon qui, à l’inverse des femelles, interagit de façon plus tolérante avec eux. L’étalon semble faire figure de modèle social particulièrement pour les jeunes mâles. 

Bien entendu, il faut replacer l’étude dans son contexte : un milieu sans risque de prédation, sans compétition d’autres mâles célibataires et avec seulement deux groupes familiaux observés.  D’autres études sont donc nécessaires pour comprendre l’importance de la présence de l’étalon dans les premiers mois de vie des jeunes, que ce soit en milieu sauvage ou domestique. Enfin, dans les groupes de chevaux participant à des projets de réintroduction en milieu naturel, il apparaît primordial particulièrement pour les jeunes mâles de bénéficier de la présence de leur père pour apprendre à devenir de jeunes adultes compétitifs dans leur vie future.

En savoir plus sur le protocole

En savoir plus sur le protocole

  • La race Exmoor

L’Exmoor est la plus vieille race de poneys britannique. Considéré comme l’une des plus anciennes races de chevaux du monde, ce poney descend peut-être de chevaux sauvages établis dans le sud de la Grande-Bretagne au cours du Pléistocène supérieur. Au cours de sa longue histoire, il échappe aux croisements avec d’autres races de chevaux, ce qui rend l’Exmoor actuel très proche de ses ancêtres. 

Chevaux de race Exmoor dans son environnement naturel.

L’Exmoor s’est adapté aux conditions climatiques rudes de sa région en développant un pelage d’hiver très dense, qui le protège de l’humidité. Il est caractérisé par sa robe pangarée très proche de celles des chevaux préhistoriques, et par un type primitif très similaire d’un individu à l’autre. L’Exmoor est une race rare, comptant environ 3 500 représentants à travers le monde. Il s’est répandu à travers des pratiques d’écopastoralisme – 14 juments du parc national d’Exmoor ont été exportées en Tchéquie en 2015, pour pâturer sur l’ancien terrain militaire de Milovice – mais il reste en danger d’extinction.

Source : Wikipedia

  • Organisation des observations durant l’étude

Les observations sont organisées en blocs de 14h réparties sur deux jours consécutifs : 

  • J1 de 10h à 14h puis de 16h à 20h
  • J2 de 8h à 12h puis de 14h à 16h

13 blocs d’observation par groupe sont réalisés. 

Les conditions climatiques parfois extrêmes ont fait légèrement varier cette organisation.

L’observateur se déplace à pied et collecte toutes les interactions selon la méthode « all occurrence sampling » de Altmann, 1974 :  il note à la volée tous les comportements d’intérêt, dès qu’ils s’expriment.

En savoir plus sur les résultats

En savoir plus sur les résultats

  • Qui initie quel comportement ?

1629 interactions relevées sont initiées par les poulains à destination d’adultes ou d’autres poulains, tandis que 674 interactions sont initiées par les adultes à destination des poulains. La proportion des comportements est très différente entre les interactions initiées par les poulains et celles initiées par les adultes (Figure 2).

Histogramme comparant la proportion de comportements ( amicaux, jeu, snapping, agonistiques) selon l'initiateur (Poulain ou adulte) et selon son destinataire. Les adultes émettent 87,1% de comportements agonistiques envers les poulains, et 11, 3 % de comportements amicaux. Pas de données concernant les comportement émis d'un adulte vers un autre adulte. 
Les poulains émettent 10,9% de comportements agonistiques à destination soit d'un adulte soit d'un autre poulain, 42% de comportements de jeu, 30,8% de comportements amicaux et 16, 3% de snapping.
Figure 2. Proportion des comportements selon l’initiateur de l’interaction et son destinataire.

Le fait que les mères et les autres juments repoussent les sollicitations des poulains pourrait s’expliquer de plusieurs façons : 

  • Le poulinage crée déjà de fait les liens entre les individus (mère – progéniture). 
  • Il est également probable que chaque mère ait assez à faire avec son propre poulain et n’ait pas d’énergie à investir dans un autre poulain. 

Le comportement agonistique des juments peut alors expliquer l’intérêt des poulains pour l’étalon qui, lui, accepte plus facilement d’interagir.  

  • Différences de comportement poulain – pouliche

Les poulains initient 18,81 fois plus le jeu envers un adulte que les pouliches pour lesquelles seulement 4 observations ont été faites et uniquement à destination de femelles. Elles apparaissent donc plus « sages » ou plus « timides » que les jeunes mâles. 

Les interactions entre les jeunes montrent aussi des différences selon le sexe :

  • Les poulains jouent plus tandis que les pouliches ont plus recours à des comportements agonistiques (p = 0,019). 
  • Les poulains interagissent de façon similaire envers un autre poulain ou une pouliche (p = 0,09)
  • Les pouliches favorisent les comportements agonistiques et amicaux entre pouliches et adressent plus de snapping et de jeu aux poulains (p = 0,07).
  • Le snapping

Parmi les comportements, le snapping est observé fréquemment envers l’étalon (ou d’autres adultes) dans des situations très différentes : proximité d’un adulte, lors d’interactions amicales, lors de simulations de monte. Ce comportement ne semble donc pas uniquement exprimer un message de soumission de la part du poulain, mais pourrait aussi signifier un état émotionnel d’excitation. 

  • Limite de l’étude

L’absence de prédateur sur le site de l’étude doit être prise en compte. En effet, d’autres études sur les chevaux de Przewalski en milieu naturel notamment, n’ont pas montré de telles interactions entre poulains et étalon. Il est possible qu’en milieu sauvage, l‘étalon soit trop affairé à surveiller et protéger son groupe pour avoir le temps de répondre aux sollicitations des jeunes. Ainsi les résultats de la présente étude sont intéressants mais doivent être entendus dans le contexte de celle-ci. Sans pression du milieu extérieur, il apparaît que l’étalon semble accepter plus volontiers que les juments d’interagir avec sa progéniture.

Note : Les résumés publiés sur le site Sciencesequines.fr sont issus d’études scientifiques qui sont parues dans des revues officielles et qui n’engagent que leurs auteurs. Nos rédacteurs.trices peuvent parfois y ajouter des commentaires qui sont systématiquement annoncés par le sigle NDLR (Note de la rédaction)

Références

Références

Cet article a été résumé par Lucie Chazallon et relu par Sandra Conesa et Juliane Demellier.

Les illustrations sont de Lucie Chazallon.

La photo illustrant la partie En savoir plus sur le protocole est créditée à me’nthedogs sous licence CC- BY- 2.0.

La photo utilisée en bannière et en miniature du résumé appartient à Peter Hoogmoed et issue de Unsplash.

Référence complète de l’article 

Šandlová, K., Komárková, M. & Ceacero, F. Daddy, daddy cool: stallion–foal relationships in a socially-natural herd of Exmoor ponies. Anim Cogn 23, 781–793 (2020). https://doi.org/10.1007/s10071-020-01388-x

Quelques références intéressantes citées dans l’article

Altmann J. (1974), Observational Study of Behavior : Sampling Methods. Behaviour 494(3) :227–267

Christensen JW., Zharkikh T., Ladewig J., Yasinetskaya N. (2002), Social behaviour in stallion groups (Equus przewalskii and Equus caballus) kept under natural and domestic conditions. App Anim Behav Sci 76(1) : 11–20. https://doi.org/10.1016/S0168-1591(01)00208-8 

(accéder au résumé de cet article)Crowell-Davis SL., Houpt KA., Burnham JS. (1985), Snapping by foals of Equus caballus. Z Tierpsychol 69(1) : 42–54. https://doi.org/10.1111/j.1439-0310.1985.tb00755.x

[Résumé] Daddy, daddy cool : les relations étalon – poulain dans une horde naturelle de poneys Exmoor – K. Šandlová et al., 2020
Étiqueté avec :