Face aux aléas climatiques, les ânes et les chevaux n’utilisent pas les abris pour les mêmes raisons.

Texte pour accompagner la miniature: Depuis leur domestication, les ânes et les chevaux habitent des régions climatiques très variées. Pourtant ces deux espèces d'équidés ont des ancêtres différents issus de régions climatiques tout aussi différentes. Mais alors, ont-ils les mêmes capacités de résistance face aux aléas météorologiques ? Une étude de 16 mois dans le sud ouest anglais tente de répondre à cette question.

Résumé

Domestiqués depuis plusieurs milliers d’années, les ânes et les chevaux s’adaptent à des environnements très variés. Pourtant ces deux espèces tirent leur origine sauvage de régions climatiques bien différentes. Pour ce que l’on sait, les ânes sont des descendants d’une espèce du Nord-Est de l’Afrique et de la péninsule arabique qui vivait sous des climats semi-arides. Les premiers chevaux domestiqués seraient, eux, originaires de la zone eurasienne au climat plus tempéré.

Ânes et chevaux ne partagent pas non plus les mêmes caractéristiques biologiques. Par exemple, si les ânes sont capables de tirer profit du moindre brin d’herbe et de rester plusieurs jours sans boire, ce n’est pas le cas des chevaux. Les auteurs de cette étude cherchent à savoir si ces deux espèces d’équidés réagissent de la même façon face aux aléas climatiques et environnementaux pouvant affecter leurs conditions de vie domestique. Durant 16 mois, ils ont observé comment les ânes et les chevaux utilisent les abris sous le climat tempéré du Sud-Ouest du Royaume Uni.

Méthode

135 ânes et 73 chevaux et poneys sont répartis en 18 groupes sociaux de taille variable sur 7 sites différents. Chaque pâture est pourvue d’abris naturels (arbres ou haies) et d’un ou plusieurs abris artificiels suffisamment grands pour abriter le groupe.

Entre septembre 2015 et décembre 2016, chaque groupe est observé au moins une heure par semaine. La position de chaque animal est notée : à l’intérieur de l’abri, à l’extérieur ou à l’extérieur sous abri naturel. Grâce à des stations météo fixes et portatives, et des luxmètres, les chercheurs relèvent la pluviométrie ainsi que la vitesse du vent, la température, la luminosité dans la pâture et à l’intérieur des abris artificiels. Enfin, la pression des insectes est également prise en compte dans le traitement statistique. 

Ces données sont analysées individuellement puis de façon combinée pour comprendre quel facteur, ou combinaison de facteurs, pousse les deux espèces à utiliser les abris.

Résultats

Les deux espèces n’utilisent pas les abris de la même façon et les ânes les utilisent significativement plus (p-value p = 0,014).

Par temps de pluie ou en dessous de 10°C, et particulièrement en combinaison avec la pluie et le vent, 69% des ânes s’y réfugient, contre seulement 10% des chevaux.  A l’inverse, lorsque la température passe au-dessus des 20°C et que, de fait, la pression des insectes augmente, le nombre de chevaux en intérieur double contrairement à celui des ânes qui ont tendance à rester dehors.

Les abris naturels sont globalement moins utilisés du fait de la présence d’abris artificiels. Les ânes les utilisent par temps pluvieux et venteux tandis que les chevaux les utilisent plutôt lors de journées ensoleillées.

Discussion

Bien que ces deux espèces vivent sous des climats tempérés nord européens, des différences, probablement dues à leurs lointaines origines, sont apparues dans leurs réactions face aux aléas météo. Contrairement aux chevaux, les ânes apparaissent moins résistants au froid et à la pluie, mais supportent mieux la chaleur et la pression des insectes.

Cette étude met en lumière la nécessité de prendre en compte les spécificités de chaque espèce dans l’aménagement du lieu de vie des animaux et particulièrement dans la construction des abris.

En savoir plus sur le protocole

1. Ânes et chevaux, des équidés aux caractéristiques biologiques différentes

Les ânes sont mieux adaptés au climat semi-aride et les chevaux mieux adpatés au climat tempéré. Besoin en eau: ânes plusieurs jours sans eau; chevaux besoin quotidien. Résistance au froid: ânes faible (monocouche de poils peu épaisse en hiver); chevaux haute (double couche de poils très épaisse en hiver). Résistance à la pluie: ânes faible (poils non imperméables); chevaux haute (poils imperméables). Résistance à la chaleur: ânes haute (sudation faible, longues oreilles régulatrices de température, faible besoin en eau); chevaux faible (sudation importante, oreilles courtes, besoin en eau quotidien). Inconfort lié aux insectes: ânes relativement faible; chevaux fort
Tableau 1. Caractéristiques biologiques des deux espèces en relation avec différents éléments de l’environnement.

La Zone de Neutralité Thermique (ZNT) (ou zone de confort thermique) est la plage de température à l’intérieur de laquelle un organisme ne dépense pas d’énergie supplémentaire pour maintenir sa température corporelle. Elle est comprise entre deux seuils : chez les chevaux, la température critique inférieure se situe entre -15 °C et 10°C et la limite supérieure se situe entre 20°C et 30°C. Au-delà, les chevaux transpirent plus et subissent le harcèlement des insectes. Mais ces seuils varient selon les races, l’âge, l’acclimatation, l’état de santé et également selon les conditions climatiques associées telles que la vitesse du vent, l’humidité, les précipitations ou encore l’ensoleillement. 

NDLR : Chez le cheval, la ZNT dépend de son adaptation. Sous des climats tempérés, pour un cheval non tondu, elle est située approximativement entre 5°C et 25°C. Source IFCE

La ZNT n’a pas été évaluée pour les ânes mais une étude de Stephen et al. (2000) mentionne le problème d’hypothermie des ânes en hiver. Pour autant, aucune recherche n’a été menée à ce jour sur les réponses physiologiques et comportementales des ânes face au froid. Étudiés sous le climat tropical du Nigéria, ils ont été observés à frissonner sous 20°C, un seuil critique inférieur bien plus élevé que celui des chevaux. 

2. Quelques précisions concernant les équidés de l’étude

Les 135 ânes dont 22 de race Poitou (pas d’autres précisions) sont issus d’une ferme d’élevage, The Donkey Sanctuary. La moyenne d’âge est de 17,56 ans (± 8,4) et le groupe comprend 54 femelles et 81 mâles.

Parmi les 73 chevaux et poneys, 30 sont issus du Donkey sanctuary et les autres proviennent de fermes de propriétaires. De races variées, ils sont classés en deux catégories : froid (43) et sang-chaud (30). La moyenne d’âge est de 13,95 (± 7,72), 30 femelles et 43 mâles sont impliqués.

Tous les animaux ont été contrôlés en bonne santé les deux années précédant l’étude, ils ne sont ni tondus ni couverts durant l’expérimentation.  

3. La répartition des animaux

Ânes et chevaux ne sont pas mélangés. Ils sont répartis en groupes sociaux pouvant aller de 2 à 46 individus. La taille des pâtures, le nombre et la taille des abris artificiels (de 15m² à 445m²) sont adaptés en fonction. 

En savoir plus sur les résultats

Les facteurs météorologiques 

Selon les éléments météo, la Figure 1 fait apparaître une plus grande variation des comportements des ânes (ligne foncée) qui semblent donc plus sensibles aux modulations du climat que les chevaux.

6 graphiques montrant chacun deux courbes, l'une pour le nombre de chevaux, l'autre pour le nombre d'ânes présents dans les abris selon 6 conditions climatiques: A précipitation, B vitesse du vent, C nombre de comportements pour repousser les insectes, D Luminosité, E Température extérieure F température dans les abris. Les chevaux obtiennent des scores entre 10 et 20% sur les 6 graphiques, les ânes ont une courbe beaucoup plus variable selon les conditions pouvant atteindre presque 100% dans le graphique A (Précipitation).
Figure 1. Nombre d’animaux (en %) à l’intérieur des abris selon différentes conditions environnementales : (A) Précipitation, (B) Vitesse du vent, (C) Pression des insectes, (D) Luminosité, (E) Température extérieure et (F) Température dans les abris. 

Chaleur et insectes

Sur le graphique C, la courbe du nombre de chevaux dans les abris passe au-dessus de celle des ânes  lorsque la pression des insectes augmente et qu’on comptabilise plus de 10 comportements pour repousser les insectes par minute. Les ânes semblent, eux, nettement moins gênés par la présence des insectes. Le graphique E montre que plus les températures extérieures grimpent, plus les tendances s’inversent entre les deux espèces, les ânes appréciant la chaleur quittent les abris, alors que les chevaux s’y réfugient, probablement aussi pour éviter le harcèlement des insectes. 

Pluie et vent

Sur le graphique A, on observe que plus la pluie est importante, plus les animaux s’abritent, avec un pourcentage très élevé pour les ânes à 89% contre 26% pour les chevaux. Par contre, le graphique B montre que plus le vent souffle, moins les chevaux s’abritent, seulement 5%, contre 61% pour les ânes. Lorsque le pluie et le vent se combinent, les ânes, eux, restent abrités alors que les chevaux préfèrent majoritairement rester en extérieur (p < 0,0001). 

Pluie et  froid 

Le graphique E, montre que les ânes sont nettement plus sensibles au froid. Il s’abritent en plus grand nombre dès que les températures passent en dessous de 20°C, atteignant 69% d’individus sous abri entre 0 et 9°C. Le pourcentage de chevaux quant à lui reste bas et stable: 10% des individus sous abri entre 0° et 20°C. Par contre, si la pluie s’additionne au froid, les chevaux comme les ânes préfèrent s’abriter (p < 0,0001).  

Enfin, de façon globale et sous le climat du Sud-Ouest anglais, les chevaux comme les ânes utilisent les abris majoritairement entre novembre et février et particulièrement avant 10h du matin (p < 0,0001).

NDLR: Cette étude montre des différences assez nettes de comportements entre les deux espèces, mais aucun résultat n’a atteint le score de 100%. En effet, bien que ce ne soit pas l’objet de cette étude, il ne faut pas oublier que d’autres facteurs, comme l’âge, l’état de santé ou la sensibilité propre à chaque animal, peuvent interférer dans leur décision de s’abriter ou non. La mise à disposition d’abris en libre accès apparaît donc comme importante, pour laisser à chaque animal le choix opportun en fonction du moment. 

Références

Les Références

Cet article a été résumé par Lucie Chazallon et relu par Laura Armand, Claire Béjat et par Lucie Beugnet. Les illustrations sont de Lucie Chazallon et Claire Béjat. La photo de miniature et de bannière appartiennent à Pixabay.

Référence complète de l’article 

L. Proops et al., Shelter-seeking behavior of donkeys and horses in a temperate climate, Journal of Veterinary Behaviour, Volume 32, (2019), 16-23,  https://doi.org/10.1016/j.jveb.2019.03.008

Quelques références intéressantes citées dans l’article

Ayo, J.O., Dzenda, T., Olaifa, F., Ake, S.A., Sani, I., 2014. Diurnal and seasonal fluctuations in rectal temperature, respiration and heart rate of pack donkeys in a tropical savannah zone. J. Equine Sci. 25, 1e6.

Holcomb, K.E., 2017. Is shade for horses a comfort resource or a minimum requirement? J. Anim. Sci. 95, 4206e4212.

Stephen, J.O., Baptiste, K.E., Townsend, H.G.G., 2000. Clinical and pathologic findings in donkeys with hypothermia: 10 cases (1988e1998). J. Am. Vet. Med. Assoc. 216, 725e729.

[Résumé] « Utilisation des abris par les chevaux et les ânes en climat tempéré », L. Proops et al., 2019