Partenaires au mauvais tempérament : mettre à l’écart ou guérir ? Une étude sur la douleur chronique et l’agressivité chez les chevaux

Cheval oreilles en arrière, corps tendu et tendu autour de la bouche.

Résumé

Des études récentes montrent qu’un simple inconfort peut affecter le comportement social humain et animal et faire augmenter la manifestation de comportements agressifs ou violents. Les douleurs dorsales chez l’Homme peuvent se corréler à une certaine irritabilité et mauvaise humeur. Les chevaux partagent avec les humains une forte prévalence de problèmes de dos, considérés comme l’un des plus courants, mais des moins compris. La plupart des chevaux souffrant de douleurs dorsales continuent d’ailleurs à être utilisés, car l’inconfort ou la douleur sont généralement sous-estimés par l’Homme qui ne détecte pas les signaux muets et souvent peu visibles exprimés par le cheval.

À l’inverse, l’agressivité parfois exprimée envers l’Humain pourrait-elle être la manifestation de la douleur vertébrale ressentie par les chevaux au travail ? C’est ce que les chercheurs ont souhaité tester dans cette étude.

Méthode

Deux évaluations sont effectuées, sur 59 chevaux de centre équestre, d’âges et de sexes variés, vivant dans des conditions similaires. 

Les évaluations sont faites séparément, en dehors des heures de travail du cheval, impliquant chacune un expérimentateur différent, non familier pour le cheval et aveugle aux résultats de l’autre évaluation.

La première évaluation du comportement agressif vis-à-vis de l’humain est basée sur 5 tests comportementaux.

Tableau 1. Description des 5 tests comportementaux menés lors de la première évaluation

Tableau des noms des 5 tests comportementaux et de leur mise en œuvre.

Tous les comportements de menace et toutes les réactions positives sont relevés pour classer les chevaux en deux catégories : agressif ou positif (Figure 1 ci-dessous).

Figure 1. Indicateurs relevés lors des cinq tests comportementaux permettant de distinguer les chevaux “agressifs” (au moins 1 réaction sur les 5 tests), des chevaux “positifs”(au moins 3 réactions sur les 5 tests).

Une seconde évaluation se compose d’un examen vertébral par une palpation de la tête à la queue, réalisée par H. Menguy, chiropraticien agréé, fort de 20 ans d’expérience. Elle est réalisée dans le box de chaque cheval, légèrement tenu par un expérimentateur inconnu. Les chevaux sont ensuite classés comme non affectés, légèrement affectés (une vertèbre atteinte) ou gravement affectés (au moins 2 vertèbres gravement atteintes). 

Enfin, les résultats des deux évaluations sont mis en regard pour déterminer s’il existe une corrélation entre douleur dorsale et réponse agressive du cheval.

Résultats

Lors des tests comportementaux, 71 % des chevaux ont menacé l’expérimentateur au moins une fois, alors que seulement 15 % d’entre eux ont affiché au moins une réaction positive sur 3 des 5 tests.

Les résultats de l’examen vertébral montrent que 73 % des chevaux ont présenté une atteinte grave avec 2 vertèbres ou plus de touchées, tandis que seulement 15% des chevaux pouvaient être considérés comme non affectés, et 12 % légèrement affectés par des problèmes de vertèbres (Figure 2).

Figure indiquant le nombre de vertèbres atteintes pour chaque cheval
Figure 2. Nombre de vertèbres touchées par cheval.

Comparaison entre données vertébrales et comportementales

Les réponses des chevaux aux tests comportementaux reflètent l’évaluation de leur colonne vertébrale. Plus de 75 % des chevaux gravement atteints, que ce soit sur une partie ou sur toute la colonne vertébrale, ont montré des comportements agressifs. Alors qu’environ la moitié des autres chevaux non atteints ou légèrement atteints ont eu des attitudes positives. 

Discussion

Ces résultats montrent une relation claire entre les problèmes de vertèbres, supposés indiquer la présence de douleurs dorsales chroniques, et l’agressivité. Observer cette relation entre le degré d’atteinte et le nombre de comportements positifs exprimés suggère une problématique majeure, amenant non seulement les chevaux à être enclins à réagir de manière agressive mais aussi en abaissant considérablement leur humeur positive. 

Cette étude expérimentale confirme l’importance d’inclure l’inconfort ou la douleur chronique comme un facteur majeur dans la relation Homme cheval et les comportements agressifs. Elle pourrait également permettre de sensibiliser à la relation entre inconfort, douleur chronique et agressivité afin de modifier la perception que les Humains ont des chevaux dits au « mauvais caractère ».

En savoir plus sur le protocole

Les 59 chevaux testés se divisaient en 44 hongres et 15 juments de 5 à 20 ans, majoritairement de race selle français.

Ces chevaux sont répartis dans 3 centres équestres différents, aux activités et conditions d’hébergement similaires à savoir : hébergement en box, 3 repas par jour de granulés, distribution de foin 1 fois par jour et travaillés 4 à 12h par semaine en cours d’équitation avec au moins 1 jour de repos dans la semaine.

Examen du dos des chevaux

Les problèmes de dos, bien que fréquents chez les chevaux, sont difficiles à évaluer, les images radio sont limitées par l’épaisseur des tissus mous, l’emploi d’ultrason est trop complexe à utiliser sur le terrain et sur un grand échantillon de chevaux. Les chercheurs se sont donc tournés vers une approche chiropratique avec l’expertise d’un professionnel agréé dans l’évaluation des troubles articulaires et rachidiens. Ces méthodes manuelles qui mettent en évidence des raideurs vertébrales, une hypertonie musculaire ou un manque de mobilisation, sont efficaces pour détecter les douleurs dorsales.

Les expériences sont conformes aux lois françaises en vigueur (Centre National de la Recherche Scientifique) liées aux animaux d’expérimentation. Elles se sont basées uniquement sur des observations comportementales, les examens du dos ont été effectués au travers d’une manipulation humaine non douloureuse et non invasive qui a été confirmée par l’absence de tout comportement de retraite des chevaux. 

Tests comportementaux

Dans le test d’approche, le cheval est toujours libre de se retirer, l’approche est réalisée en marchant lentement et régulièrement (un pas par seconde), les mains pendantes le long du corps, regardant vers l’épaule du cheval. Les deux côtés du cheval ont été testés dans un ordre aléatoire.

Pour les approches extérieures, les boxes sont à portes hollandaises en bois avec le haut et le bas séparés, le bas est en bois plein et le dessus avec des grilles. Les comportements menaçants n’ont jamais concerné de coup de pied ou de menace de coup de pied, peut-être parce que la plupart des tests ont été effectués avec l’expérimentateur au niveau de l’avant du corps du cheval.

Les tests ont été effectués dans le même ordre pour tous les chevaux.

En savoir plus sur les résultats

C’est la première fois qu’une preuve expérimentale met en évidence le lien entre douleur chronique face à la baisse des réactions positives et la manifestation de comportements agressifs.

L’inconfort chronique ou la douleur sont souvent négligés face à des individus plutôt catégorisés comme de mauvaise humeur ou ayant mauvais caractère.

C’est la région des sacrées qui est apparue sévèrement touchée dans 49% des cas, suivi des vertèbres thoraciques 34 %, cervicales 31 % et lombaires 22 %. Le pourcentage de vertèbres affectées par cheval variait de 0 à 88 % de l’ensemble de la colonne vertébrale. 

Fait remarquable, seuls 2 des 43 chevaux gravement touchés ont montré un comportement positif vis-à-vis de l’expérimentateur sur au moins un des 5 tests. Il n’a pas été observé de différence significative sur le nombre de réactions agressives entre les chevaux sains et peu affectés. Aucune corrélation entre le nombre de réactions agressives et le pourcentage de vertèbres atteintes n’a donc pu être établie. 

Les réactions agressives sont susceptibles d’apparaître au moins une fois chez les chevaux gravement atteints quel qu’en soit le degré, tandis que les réactions positives semblent abaissées proportionnellement au degré d’affliction.

Aucune différence de comportement selon le sexe ou l’âge n’a été mise en évidence.

Il semble que la présence ou absence de comportement agressif en particulier est un meilleur indicateur que la notion de quantité de comportements agressifs.

D’autres processus différents ou complémentaires peuvent influencer ce type de réactions comme une mauvaise association entre l’humain et des événements aversifs. 

Outre certaines prédispositions morphologiques, les troubles vertébraux du cheval peuvent résulter d’une selle mal ajustée, un type de travail, une pratique de l’équitation ou une mauvaise utilisation des actions du mors, qui peuvent conduire le cheval à lever le cou et la tête, créant ainsi une extension du rachis thoracolombaire. Des recherches précédentes ont montré que 35 % des chevaux de course souffraient de problèmes de dos et jusqu’à 100 % sur des chevaux de western étudiés. 

Il est donc tout à fait possible que les chevaux construisent une mémoire de ces associations négatives entre le travail avec les humains et l’inconfort ou la douleur potentielle.

Des données plus récentes suggèrent même fortement une capacité des chevaux à anticiper l’issue positive ou négative d’une interaction avec les humains. De tels souvenirs sont durables et généralisés à des humains même non familiers.

Pour l’instant cependant, aucune étude n’a clairement démontré que l’agressivité envers les humains faisait partie d’un profil de tempérament, qui semble être plus le cas des comportements positifs.

En l’état actuel des connaissances, il semble plus probable que l’agressivité envers les humains se développe dans le cadre des interactions quotidiennes ou à la suite d’une dégradation de l’état général, qui abaisse l’humeur d’une manière globale.

Note : Les résumés publiés sur le site Sciencesequines.fr sont issus d’études scientifiques qui sont parues dans des revues officielles et qui n’engagent que leurs auteurs. Nos rédacteurs.trices peuvent parfois y ajouter des commentaires qui sont systématiquement annoncés par le sigle NDLR (Note de la rédaction)

Références

Cet article a été résumé par Laura Armand et relu par Claire Bartholini, Kathleen Aubert et Lucie Chazallon. Les illustrations sont de Kathleen Aubert et Lucie Chazallon. La photo de miniature et de bannière appartiennent à Laura ARMAND, Etho’Lau

Référence complète de l’article 

Fureix C, Menguy H, Hausberger M (2010) Partners with Bad Temper: Reject or Cure? A Study of Chronic Pain and Aggression in Horses. PLoS ONE 5(8): e12434. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0012434  2010

Quelques références intéressantes citées dans l’article

Anderson KB, Anderson CA, Dill KE, Deuser WE (1998) The interactive relations between trait hostility, pain, and aggressive thoughts. Aggressive Behavior 24: 161–171.

Ashley FH, Waterman-Pearson AE, Whay HR (2005) Behavioural assessment of pain in horses and donkeys: application to clinical practice and future studies. Equine Veterinary Journal 37: 565–575.

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Hausberger M, Bruderer U, Le Scolan N, Pierre JS (2004) Interplay between environmental and genetic factors in temperament/personality traits in horses (Equus caballus). Journal of Comparative Psychology 118: 434–446.

Haussler KK, Erb HN (2006) Pressure algometry for the detection of induced back pain in horses: a preliminary study. Equine Veterinary Journal 38: 76–81.

Lesimple C, Fureix C, Menguy H, Hausberger M (2010) Human Direct Actions May Alter Animal Welfare, a Study on Horses (Equus caballus). Plos One 5(4): e10257.

[Résumé] Existe-t-il un lien entre douleur chronique et agressivité chez les chevaux ? − Fureix C., Menguy H., Hausberger M., 2010
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