Bannière montrant un cheval curieux en premier plan et un autre un peu plus circonspect en arrière-plan

Un compagnon calme et habitué est un allié précieux dans l’éducation des jeunes chevaux !

Résumé

Introduction

Du fait de leur statut de proie et de leur cohabitation avec des prédateurs, les chevaux ont développé une morphologie et des comportements qui ont assuré leur survie. Malgré une vie bien différente de leurs ancêtres et l’absence de prédateurs naturels, ces stratégies de survie persistent encore aujourd’hui chez nos chevaux domestiques.

Cela se traduit souvent par des réactions surprenantes et vives lorsque les chevaux sont effrayés, ce qui peut créer des risques pour eux comme pour nous, humains. De plus, plusieurs études scientifiques ont montré que de hauts niveaux de peur ont des effets néfastes et des conséquences mesurables sur les chevaux : baisse de performance, problèmes de santé, impacts sur la reproduction et sur le bien-être.

Dès lors, trouver des solutions pour réduire les réactions de peur impacterait toute une filière : cavaliers, professionnels ou non, éleveurs, vétérinaires… Chaque acteur de la filière a des attentes particulières : améliorer la sécurité des chevaux et des hommes, les performances et le bien-être des équidés.

L’éthologie et l’analyse des comportements ont déjà fait progresser notre compréhension des réactions de peur, mais peut-on aller plus loin et imaginer un partenariat avec des chevaux habitués, calmes pour réduire les réactions de peur des plus émotifs ?

L’intérêt de cette étude est d’intégrer une dimension scientifique pour valider ou invalider des pratiques d’éducation largement utilisées dans le monde équestre, comme par exemple le travail avec des chevaux âgés et éduqués pour encadrer  de plus jeunes individus.

La question posée par les auteurs de l’étude est la suivante : la présence d’un compagnon calme et ayant suivi un entraînement d’habituation au stimulus, lors de situations suscitant la peur (exposition soudaine à un stimulus), peut-elle réduire les réactions de peur des chevaux non habitués ?

L’exposition des chevaux à des stimuli engendrant des réactions de peur est limitée et contrôlée et cette étude est conforme aux règles d’éthique rédigées dans le « Guidelines for Ethical Treatment of Animals in Applied Animal Behavior and Welfare Research » validé par l’Ethics Board of the International Society of Applied Ethology.

Protocole

Les chevaux

On étudie 36 chevaux répartis en 2 groupes : 18 chevaux sont « Sujets d’étude » et 18 autres « Compagnons ». Sur les 18 « Compagnons », 9 ont été habitués au stimulus et sont devenus « Compagnons habitués ». Les 9 autres n’ont jamais été confrontés au stimulus et sont donc devenus « Compagnons contrôle ».

18 paires ont ainsi été constituées : 1 cheval « Sujet d’étude » associé à 1 cheval « Compagnon habitué » (groupe TEST) ou à 1 cheval « Compagnon contrôle » (groupe CONTRÔLE).

Illustration de la composition des paires de chevaux expliquées ci-dessus.

Figure 1: les paires de chevaux

Le dispositif
Figure illustrant les phases et la zone de test décrites ci-dessous
Figure 2 : les phases et la zone de test décrites ci-dessous

L’étude se déroule en 2 étapes dans un enclos où les chevaux sont habitués à manger avant l’étude. Face au seau de nourriture se trouve un sac de sable au sol, et près de l’entrée, à l’opposé, un observateur et une caméra pour filmer tous les tests.

  1. Observation du dispositif par paires pour la “phase d’habituation”:
  • Les paires du groupe test (avec un compagnon habitué) vont dans l’enclos de test où un sac de sable est au sol. L’expérience est également faite avec les paires du groupe contrôle pour pouvoir comparer.
  • On soulève brusquement le sac de sable trois fois, ce qui constitue le stimulus inquiétant.

        2. Observation des sujets d’étude pour étudier l’apprentissage de l’habituation : est-ce que les chevaux une fois seuls conservent le comportement acquis en présence de leur compagnon habitué en phase 1 ?

  • Les sujets d’étude vont dans l’enclos, un par un.
  • Le sac de sable est soulevé deux fois.
Les mesures

On a mesuré, lors de l’expérience, des scores de réactivité selon une gradation définie en amont, le temps de latence pour retourner manger après le stimulus, et les variations du rythme cardiaque.

Tableau 1 : scores de réactivité

Les scores de réactivité au stimulus sont définis ainsi :

  1. Le cheval n’a pas de réaction (c’est le critère pour les compagnons habitués)
  2. Le cheval relève la tête
  3. Le cheval prend une posture d’alerte
  4. Le cheval s’écarte
  5. Le cheval fuit

Résultats

Figure 3 : Résultats en phase 2 (apprentissage)
Figure 3 : Les résultats en phase 2, sujets d’étude seuls

Les chevaux des groupes TEST présentent des scores de réactivité plus faibles (c’est-à-dire qu’ils ont des réactions moins marquées au stimulus), retournent plus vite manger et leurs réponses cardiaques sont plus faibles que les chevaux des groupes CONTRÔLE en phase 1 (habituation)

De plus, en phase 2 (apprentissage, figure 3 ci-dessus), pour les tests avec les sujets d’étude seuls, les résultats restent similaires : les chevaux des paires TEST ont eu des réactions plus faibles que ceux des paires CONTRÔLE.

Ces résultats offrent une première démonstration que l’utilisation d’un compagnon habitué a un effet positif sur des chevaux « verts ». Ils montrent également que dans un contexte social, l’individu tend à avoir le même comportement que son congénère (stratégie adaptative liée à l’espèce). 

Discussion

Cette étude présente des limites dans la collecte des résultats à cause du protocole choisi (chevaux libres de mouvements, nombre d’expositions au stimulus…) et du nombre d’individus testés (seulement 36). Mais elle propose toutefois des résultats intéressants. Elle permet en effet d’engager des réflexions sur le fait de travailler avec des chevaux matures et expérimentés dans l’éducation des jeunes chevaux domestiques. Elle permet aussi de réfléchir à l’habitude encore répandue de séparer les poulains de chevaux plus âgés au pré.


En savoir plus sur le protocole

Chevaux

L’étude porte sur 36 étalons de 2 ans de race Danish Warmblood. Ils sont peu manipulés : ils  sont seulement habitués à porter un licol et une ceinture d’électrode mesurant le rythme cardiaque.

Les chevaux ont été habitués durant 1 mois à être isolés du groupe et à venir manger dans l’enclos de test.

Pour l’étude, les chevaux ont été répartis en 2 groupes : 18 chevaux ont été désignés « sujets d’étude » et 18 autres « compagnons ».

Le stimulus

Le stimulus choisi est un sac plastique noir rempli d’un kilo de sable et soulevé du sol à une hauteur de 1 mètre, à une vitesse d’environ 1 mètre par seconde.

 Sur les 18 « compagnons », 9 ont été habitués au stimulus (sac en mouvement) et sont devenus « compagnons habitués ». Les 9 autres n’ont jamais été confrontés au stimulus et sont donc devenus « compagnons contrôle ». Toutefois, le sac en plastique était présent dans l’enclos test, immobile, durant la phase de manipulation pour tous les chevaux afin d’éliminer le facteur « nouvel objet ».

Les paires

Illustration de la composition des paires de chevaux expliquées ci-dessus.

Figure 1: les paires de chevaux

18 paires ont ainsi été constituées : 1 cheval « sujet d’étude » associé à 1 cheval « compagnon habitué » ou à 1 cheval « compagnon contrôle ». Pour former les paires on a pris en compte les réactions durant la phase initiale d’habituation et de manipulation, afin d’éviter d’intégrer dans le groupe « Contrôle » des chevaux trop émotifs.

Nous avons donc 2 groupes : 1 groupe TEST, contenant les paires « sujet d’étude + compagnon habitué » et 1 groupe CONTRÔLE, contenant les paires « sujet d’étude + compagnon contrôle ». 

Le test

   1. Habituation :

  • Une paire entre dans l’enclos pour manger, comme dans la phase préliminaire à l’étude ;
  • Le stimulus est soulevé et on prend les mesures décrites ci-dessous. 

   2. Observation de l’apprentissage:

  • Les sujets d’étude sont testés seuls pour voir comment ils se comportent en l’absence de leur compagnon ;
  • Le sac de sable est soulevé deux fois.

Les tests durent 3 minutes à partir de l’entrée dans l’enclos. Les chevaux ont été soumis à 3 tests en paire (phase 1) et 2 tests pour les sujets d’étude seuls (phase 2), soit 5 expositions au stimulus, afin de limiter les effets de l’habituation sur les résultats.

Figure illustrant les phases et la zone de test décrites ci-dessous
Figure 2 : la zone et la procédure de test

Mesures

Les mesures prises lors de l’expérimentation ont été les scores de réactivité (voir tableau ci-dessous), le temps de latence pour retourner manger après le stimulus (enregistré par ordinateur), et les variations du rythme cardiaque (enregistré avec la ceinture d’électrode Polars810i²).

Éthogramme des scores de réactivité :
Tableau détaillant les scores de réactivité
Tableau 2 : scores de réactivité en détail

Tous les tests ont été filmés afin de pouvoir éliminer les paires présentant des biais pour l’étude, tels que 2 chevaux mangeant dans le même seau (NDLR: nous n’avons pas trouvé de justification pour cette décision dans l’étude originale) ou bien présentant une position inadéquate (dos au stimulus). Ces enregistrements ont également permis de mesurer la position du cheval avant et après stimulus et de préciser la réaction du sujet.

En savoir plus sur les résultats

Après analyses des sessions et éliminations des cas pouvant induire des biais dans l’étude, voici le nombre de chevaux « sujet d’étude » pour chaque session :

Tableau 3 : les chevaux réellement observés
Tableau 3 : Nombre de chevaux réellement observés (SÉ = sujet d’étude)

 Plus de chevaux des groupes TEST se sont placés spontanément dans une position non valide (telle qu’expliquée ci-dessus dans la partie « En savoir plus sur le protocole »), en comparaison avec le groupe CONTRÔLE. Les chevaux habitués se sont placés plus souvent le plus loin possible du sac, ce qui a eu un effet sur la position du cheval « Sujet d’étude ».

Résultats de la phase 1

Les chevaux avec un compagnon habitué présentent des scores de réactivité plus faibles (en session 1 ils présentent en moyenne un score inférieur à 4, c’est-à-dire entre la posture d’alerte et un mouvement de 3 pas) que les chevaux avec un compagnon contrôle (majoritairement un score autour de 5, c’est-à-dire une fuite au déclenchement du stimulus).

Les fréquences cardiaques maximum enregistrées sont également plus faibles (entre 80 et 110 pulsations/minute, avec une moyenne de 90) chez les chevaux accompagnés d’un cheval habitué que ceux du groupe contrôle (entre 140 et 165 pulsations minutes, avec une moyenne de 150).

Figure 4 : score de réactivité (a) et rythme cardiaque maximum (b) chez les SÉ pendant la phase 1, groupe Test et groupe Contrôle (comme décrits ci-dessous)
Figure 4 : score de réactivité (a) et rythme cardiaque maximum (b) chez les SÉ pendant la phase 1, groupe Test et groupe Contrôle

Résultats de la phase 2

Les résultats de la phase 2 sont cohérents avec ceux de la phase 1. Les chevaux du groupe TEST présentent des réactions moins fortes que les chevaux du groupe CONTRÔLE même en l’absence de leurs compagnons. 

On note peu de changement dans les niveaux de réactions et le rythme cardiaque entre les sessions avec compagnon (phase 1), ou par la suite seuls (phase 2). Cela semble indiquer un début d’habituation des sujets.

Figure 5 : résultats en phase 2 (apprentissage) tels que décrits ci-dessus
Figure 5: score de réactivité (a) et rythme cardiaque maximum (b) chez les SÉ pendant la phase 2, chevaux Test et chevaux du groupe Contrôle

Conclusion et discussion

L’étude de Christensen et al pose des bases chiffrées sur des idées déjà répandues dans le monde du cheval. L’utilisation d’un cheval d’école pour appréhender l’extérieur avec de jeunes chevaux est un exemple parmi d’autres. Toutefois, certains secteurs comme l’élevage séparent encore les chevaux par groupe d’âge, se privant ainsi des effets positifs d’un groupe social varié et du soutien naturel des plus âgés envers les plus jeunes, que l’on peut extrapoler à partir de cette étude.

Pendant le travail collaboratif de relecture et de réécriture de ce résumé, nous nous sommes fait quelques remarques auxquelles l’étude originale n’a pas répondu:

  • Certaines positions des chevaux ont été considérées comme éliminatoires (les deux mangeant dans le même seau par exemple) pour « éviter des biais », mais quels biais ?
  • Les fréquences cardiaques relevées dans l’aire d’attente, au repos, dans cette étude sont en moyenne de 50 bpm, alors que la moyenne standard au repos est plutôt autour de 30-40 bpm pour un cheval adulte, 50-70 pour un poulain (https://equipedia.ifce.fr/sante-et-bien-etre-animal/soin-prevention-et-medication/prevention/signes-de-bonne-sante-et-constantes-biologiques). En phase 2, même chez les sujets d’étude du groupe test, la fréquence cardiaque maximale est autour de 80 bpm en moyenne. Cela ne peut-il pas indiquer un stress qui ne mène pas à un comprtement visible ? En d’autres termes, si cette étude montre que la présence d’un compagnon habitué aide à réduire les réactions comportementales au stimulus, elle ne réduit peut-être pas les réactions physiologiques de stress.

 Pour la suite, pourquoi ne pas explorer de nouvelles pistes, notamment en intégrant le lien familial dans les critères de sélection des sujets, ou bien en simulant des situations pratiques telles que les soins vétérinaires ou maréchalerie ?

Références

Références

Cet article a été résumé par Fanny Carrière. Il a été relu par Anne-Marie Le Port et Stéphanie Ronckier. Les illustrations sont de Claire Béjat.  La photo de bannière appartient à Laura Armand. Cet article a été édité et mis en ligne par Stéphanie Ronckier.

Référence complète de l’article

W. CHRISTENSEN, J. MALMKVIST, B. L. NIELSEN and L. J. KEELING (2008). Effects of a calm companion on fear reactions in naïve test horses. EQUINE VETERINARY JOURNAL, Equine vet. J. (2008) 40 (1) 46-50

Autres références:

Pour aller plus loin dans la compréhension des mécanismes d’habituation et de l’impact du relationnel dans l’apprentissage des jeunes chevaux, 2 études semblent pertinentes :

  • Christensen, J.W., Rundgren, M. and Olsson, K. (2006) Training methods for horses: Habituation to a frightening stimulus. Equine vet. J. 38, 439-443.
  • Henry, S., Hemery, D., Richard, M.-A. and Hausberger, M. (2005) Human-mare relationships and behaviour of foals towards humans. Appl. anim. behav. Sci.93, 341-362.

Enfin, si des questions se posent quant à l’exposition des chevaux à des stimuli déclenchant la peur, il est intéressant de consulter les règles d’éthique concernant les animaux dans le cadre de la recherche : Guidelines for Ethical Treatment of Animals in Applied Animal Behavior and Welfare Research’ by the Ethics Board of the International  Society of Applied Ethology (www.applied-ethology.org)

 

[Résumé]Un compagnon calme et habitué est un allié précieux dans l’éducation des jeunes chevaux !- Christensen et al., 2008
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