Attention aux inconnus : le lien homme-cheval réduit-il le stress en situation nouvelle ?
Résumé
Introduction
Les scientifiques ont déjà étudié l’attachement animal-humain chez le chien et le chat (Newberry et Swanson, 2008). Cet attachement permet, entre autres, une réduction du stress et des comportements dangereux en situation inquiétante. En psychologie du développement, on appelle cet effet « base de sécurité » (Ainsworth, Cassidy).
Dans le monde équestre, bien que l’attachement de l’humain au cheval semble avéré et perçu comme bénéfique (Walsh, Parelli, Roberts), peu d’études cherchaient encore à explorer la perspective du cheval de manière objective.
Question de recherche et hypothèse
L’objectif d’Ijichi et de son équipe était de voir si un effet « base de sécurité » existe chez le cheval. Pour cela, ils ont observé si le cheval se comportait différemment avec son propriétaire qu’avec un inconnu lors du franchissement d’obstacles inconnus en main.
Ils ont analysé :
- la durée de passage de l’obstacle ;
- la quantité de comportement de refus proactif (c’est-à-dire autres que l’immobilité) ;
- des indicateurs de stress physiologiques.
L’hypothèse était que si le propriétaire procure une base de sécurité, alors le cheval mené par son propriétaire devrait passer l’obstacle plus rapidement, avec moins de comportement de refus proactif et moins de signes physiologiques de stress par rapport au test où il était mené par un inconnu.
Protocole
Les chevaux et les manipulateurs
L’équipe d’Ijichi a sélectionné 46 hongres et juments de races et âges variés, travaillés sous la selle et vivant dans la même écurie. Les méthodes d’entraînement et de manipulation n’ont pas été prises en compte.
Les manipulateurs étaient le propriétaire du cheval pour une partie du test, et une inconnue calme et expérimentée, C. Ijichi elle-même, pour l’autre.
C’était une expérience en double aveugle, car les propriétaires et Ijichi ne savaient pas comment le cheval s’était comporté avec l’autre. Cela évitait que le deuxième manipulateur anticipe un certain comportement et biaise ainsi l’expérience.
Le dispositif
Chaque cheval a passé deux tests de franchissement inconnus, l’un avec son propriétaire et l’autre avec Ijichi. L’ordre de passage des obstacles et des manipulateurs était déterminé de façon aléatoire. Les tests ont eu lieu dans un manège clos et familier, et la seule aide autorisée pendant l’exercice était la tension appliquée sur la longe du licol.
Le test de franchissement A est une bâche de 2,5m x 3m placée au sol, et le test de franchissement B est un portique de 2,5m de haut sur 1,6m de large auquel sont fixées des bandes de plastique multicolores de 2m de long.
Les mesures
Les chercheurs ont observé et mesuré :
- deux signes physiologiques de stress :
- la température oculaire avant et après chaque test : y avait-il une différence entre l’œil droit et l’œil gauche, et une différence entre avant et après le test ? (Valera et al, 2012) ;
- les variations de fréquence cardiaque pendant toute la durée des tests (Ille, 2014) ;
- deux éléments d’ordre comportemental pendant toute la durée des tests :
- la durée de franchissement des obstacles. Si le cheval n’a pas franchi l’obstacle au bout de 3 minutes, les chercheurs notent « 180 secondes » et c’est considéré comme un échec ;
- les comportements de refus proactif (tout comportement qui ne contribue pas au franchissement, sauf l’immobilité) pendant toute la durée des tests.
Pour l’analyse statistique, l’objectif était de comparer les valeurs de trois axes :
- durée de franchissement
- nombre de comportements de refus proactifs
- indicateurs de stress
en fonction des deux situations :
- mené par son propriétaire
- mené par une inconnue.
Résultats
L’analyse des résultats n’a montré aucune différence significative (valeur P > 0,05) quelle que soit la variable observée.
En statistiques, si la valeur P est au-dessus de 0,05, cela indique que les différences observées peuvent tenir d’un simple hasard. Or ici, la valeur P était toujours entre 0,151 et 1.
Conclusion des chercheurs
Cette expérience n’a pas mis en évidence d’effet « base de sécurité » entre le propriétaire et le cheval. Cela signifie qu’un manipulateur calme et compétent, bien qu’inconnu, pourrait être aussi efficace que le propriétaire en cas de procédures stressantes, comme des soins vétérinaires par exemple.
Discussion, limites et nouvelles pistes
Cette étude était l’une des premières dans son genre. Les chercheurs mentionnent dans leur conclusion beaucoup d’autres facteurs à explorer et font remarquer que si l’effet « base de sécurité » n’a pas été démontré, cela n’exclut pas l’existence d’un attachement du cheval à son propriétaire, phénomène qu’il serait intéressant d’étudier.
Ijichi et son équipe ont dû se concentrer sur des facteurs observables et contrôlables. Ils mentionnent qu’il serait souhaitable d’étudier l’impact du tempérament des chevaux et de la méthode d’entraînement de leur propriétaire sur l’attachement, par exemple.
Nous explorons la discussion, pertinente et passionnante, de cette étude, plus en détails dans la section “En savoir plus sur les résultats” ci-dessous.