Introduction

Cheval atteint de harper australien: un cheval au pré a le postérieur droit en hyperflexion, c'est-à-dire fortement replié comme pour donner un coup de pied.
Cheval atteint de harper australien: hyperflexion des postérieurs

La porcelle enracinée (Hypochaeris radicata) est une petite plante à fleurs jaunes, très commune en Europe, que l’on rencontre notamment dans les prairies pâturées. Cette plante, bien que comestible pour les humains, est associée au syndrome du harper australien chez le cheval, une maladie qui atteint les systèmes nerveux et locomoteur de l’individu intoxiqué.

C.M. El-Hage et ses collègues ont réalisé en 2017 une revue des connaissances scientifiques existantes sur :

  1. les caractéristiques du harper australien, et comment il se soigne ;
  2. les connaissances actuelles sur le lien entre la consommation de porcelle enracinée et le harper australien chez le cheval.

Ce dossier “Porcelle enracinée et harper australien chez le cheval” est la synthèse de cet article.

Le harper australien

I. Le harper australien

Pour faire simple, un cheval atteint de harper lève anormalement haut ses membres postérieurs lorsqu’il marche, ce qui l’handicape pour se déplacer. Le harper est un syndrome (un ensemble de symptômes) qui est loin d’être récent, puisqu’il a été évoqué dès le début du 17ème siècle dans une pièce de Shakespeare. Il existe plusieurs types de harper aux causes très différentes (dont la forme dite « classique », d’origine traumatique), mais cet article s’intéresse uniquement au harper australien. L’adjectif « australien » a été utilisé car de nombreux cas ont été initialement décrits en Australie, mais ce syndrome est ensuite apparu dans de nombreux pays. Son étiologie (l’ensemble des causes de cette maladie) est désormais mieux connue, et on parle aujourd’hui de harper associé aux pâtures, ou en anglais pasture-associated stringhalt. C’est ce terme qui est utilisé dans l’article synthétisé dans ce dossier.

A. Un signe clinique majeur : l’hyperflexion des postérieurs

Le principal symptôme que présentent les chevaux affectés par le harper associé aux pâtures est une hyperflexion (flexion exagérée et prolongée) involontaire des deux membres postérieurs lorsqu’ils essaient de se déplacer. Une classification de ce signe clinique a été proposée par Huntington et al. (1989) en fonction de la gravité de l’affection : de la catégorie I, caractérisée par une hyperflexion qui n’apparaît que lorsque le cheval recule, tourne ou est stressé, jusqu’à la catégorie V, où la flexion est si exagérée qu’elle amène le paturon à cogner contre l’abdomen, et est si prolongée que les deux postérieurs se lèvent en même temps, de sorte que le cheval ne peut se déplacer qu’en « sautillant comme un lapin ». L’hyperflexion peut alors apparaître même au repos. Une dernière catégorie est parfois considérée, la catégorie VI, la plus grave, et elle caractérise un cheval qui reste couché de façon prolongée. Le détail de cette classification est disponible en annexe. D’autres anomalies de locomotion ont été décrites selon les individus, avec une variation considérable de la flexion du boulet, de l’avancée de la jambe, et de la poussée des postérieurs durant la phase d’appui.

Figure 1. Vidéo d’un cheval atteint de harper associé aux pâtures : les membres postérieurs du cheval cognent contre l’abdomen à chaque pas, et parfois se lèvent en même temps. Ce sont des signes cliniques évoquant un harper associé aux pâtures de catégorie V.

B. Autres signes cliniques

Les autres signes cliniques incluent une importante fonte des muscles des cuisses et des adducteurs, les muscles extenseurs long et latéral du doigt (situés entre le grasset et le jarret) étant les plus sévèrement touchés. Dans les cas graves, la fonte musculaire peut s’étendre à tous les muscles de l’arrière-main. Plus rarement, les membres antérieurs peuvent être affectés en plus des membres postérieurs.

D’autres symptômes peuvent accompagner les anomalies de locomotion. Ainsi, une paralysie partielle du larynx (la partie du canal respiratoire où se trouvent les cordes vocales) peut apparaître, et se manifeste par des vocalisations anormales, un cornage (bruit respiratoire rauque, notamment lors du travail), ou des difficultés à déglutir chez un cheval fortement atteint. Enfin, pour un petit nombre de cas sévères, un changement de comportement (agressivité ou léthargie) peut survenir au fil de l’évolution de la maladie.

Les signes cliniques du harper associé aux pâtures apparaissent généralement graduellement. En pratique, le diagnostic du harper associé aux pâtures se fait sur la présence de ces signes cliniques. D’autres pathologies, comme le harper classique, le shivering (maladie des tremblements) ou l’accrochement de la rotule, peuvent toutefois produire des signes cliniques similaires. Le diagnostic de la maladie se base alors sur l’absence d’autres anomalies neurologiques ou orthopédiques, l’absence de traumatisme dans la région du jarret, et sur des conditions épidémiologiques concordantes avec le harper associé aux pâtures (développées en partie II).

C. Le harper est causé par des lésions nerveuses

Les nombreuses variations des signes cliniques reflètent celles des structures neuromusculaires qui sont affectées par la pathologie. Le harper associé aux pâtures cause en effet des lésions dans certains nerfs, ce qui provoque une activité anormale dans les muscles auxquels ces nerfs sont reliés. En termes vétérinaires, le harper associé aux pâtures est une axonopathie distale : les lésions touchent les axones, c’est-à-dire les fibres nerveuses partant du corps d’un neurone et formant un nerf. C’est la partie de l’axone la plus éloignée du neurone, donc la plus proche du muscle qu’il innerve, qui est touchée (partie distale des axones). Dans le cas du harper associé aux pâtures, la partie distale de l’axone subit une démyélinisation, c’est-à-dire une perte de la membrane qui assure son isolation électrique. Ces lésions atteignent les nerfs larges et longs, comme ceux qui innervent les muscles des membres postérieurs (Figure 2).

Profil d'un cheval montrant, en rouge, les nerfs atteints par le harper associé aux pâtures: ils relient les muscles de la cuisse au canon, en face antérieure et postérieure.
Figure 2: Localisation des nerfs atteints par le harper associé aux pâtures (en rouge sur le schéma). Schéma modifié d’après (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Horse_anatomy.svg), licence Creative Commons.

Enfin, un muscle qui n’est plus innervé (du fait des lésions nerveuses) perd son activité, ce qui conduit à l’atrophie des fibres musculaires. Au microscope, les fibres musculaires apparaissent racornies, anguleuses, irrégulières et pâles dans certains cas, et dans d’autres cas, ces fibres peuvent être remplacées par du tissu conjonctif fibreux et de la graisse (Figure 3).

Coupes transversales permettant de comparer d'un côté des fuseaux musculaires sains, aux cellules de taille homogène et de contours lisses et réguliers, proches les unes des autres, avec de l'autre côté des fibres musculaires atrophiées, aux cellules plus petites, anguleuses, de tailles irrégulières et séparées par du tissu connectif.
Figure 3. Schéma d’une coupe transversale des fuseaux musculaires du muscle extenseur du doigt chez un cheval (a) normal et (b) atteint d’un harper associé aux pâtures de catégorie III-IV. (a) Les fibres musculaires ont un aspect normal (b) Les fibres musculaires sont atrophiées, la plupart des cellules sont petites, anguleuses, irrégulières, et sont séparées par du tissu connectif (schéma adapté d’après une photographie de l’article El-Hage et al. 2017)

On pourrait penser qu’une maladie dégradant les fibres nerveuses produise une absence de mouvement des muscles (hypotonie), plutôt qu’un mouvement exagéré (hypertonie). Une hypothèse largement acceptée dans le cas du harper est que les fibres dégradées font partie d’un système inhibiteur des mouvements involontaires. La dégradation de ces fibres causerait donc l’apparition de mouvements involontaires et désordonnés.

Par ailleurs, le harper ne semble pas atteindre le système nerveux central (cerveau et moëlle épinière). Cependant, l’utilisation de nouvelles techniques d’investigation des lésions, comme l’IRM, pourrait apporter de nouvelles données sur ce point dans les prochaines années.

D. Le harper guérit souvent spontanément avec le temps

Les cellules du système nerveux se renouvellent constamment et les lésions nerveuses peuvent être réversibles. Ainsi, la majorité des individus guérissent spontanément une fois qu’ils ne sont plus exposés à la toxine, c’est-à-dire après un changement de pâture. La plupart des chevaux guérissent en 6 à 18 mois, mais les chevaux ne présentant que des symptômes légers (catégorie I-II) peuvent guérir beaucoup plus rapidement. L’euthanasie peut toutefois être indiquée dans les cas les plus graves, comme un animal qui reste couché durant des périodes prolongées (catégorie VI). Certains animaux ne guérissent pas complètement, pour des raisons qui sont encore peu connues mais pouvant être liées à des dommages trop sévères des fibres musculaires.

De nombreux traitements ont été suggérés pour traiter le harper associé aux pâtures, mais leur efficacité est mitigée. Ces traitements incluent notamment :

  • L’ablation du tendon et d’une partie du muscle extenseur latéral du doigt
  • L’administration de relaxants musculaires
  • L’infiltration de toxine botulique (Botox A)

Des vitamines (vitamine B1, E et C), certains acides aminés (taurine, tryptophane) ou du magnésium peuvent aussi être prescrits.

Dans la plupart des cas, les tests n’ont pas été effectués en parallèle avec un groupe témoin de chevaux non-traités ; sachant que la guérison a lieu spontanément dans la plupart des cas, il est difficile de conclure sur l’efficacité de ces traitements.


Lien entre porcelle enracinée et harper associé aux pâtures

II. Lien entre porcelle enracinée et harper associé aux pâtures

A. Le harper associé aux pâtures apparaît sur des prairies surpâturées et sèches

Bien que la maladie ne soit pas nouvelle, les connaissances sur les conditions d’apparition du harper sont encore lacunaires. Certains facteurs de risques sont cependant relativement bien identifiés.

Le harper associé aux pâtures apparaît généralement en fin d’été ou au début de l’automne, dans des conditions de sécheresse, chez des chevaux pâturant des prairies surpâturées, depuis plusieurs semaines. Dans la majorité des cas, ces prairies comportaient de grandes quantités de porcelle enracinée (69 cas sur 70 en France, Domange et al. 2010). Une des raisons expliquant l’abondance de la porcelle dans les prairies incriminées est le fait qu’elle supporte bien la sécheresse grâce à ses longues racines. Aussi, elle peut se développer de façon importante en période de sécheresse alors que les autres plantes ne résistent pas, et devenir une des principales sources de fourrage dans l’alimentation des chevaux de ces prairies.

Dans de rares cas, la présence d’autres plantes, comme le pissenlit (Taraxacum officinale) et la mauve à petites fleurs (Malva parviflora) a aussi été retenue comme facteur de risques. La consommation de gesses (Lathyrus spp.) peut générer des symptômes semblables au harper, mais les composés chimiques et les lésions induites semblent incompatibles avec le harper.

Les animaux touchés sont plutôt des chevaux adultes et de grande taille, même si des cas ont été rapportés chez des chevaux jeunes, des poneys ou des ânes. En général, seuls certains chevaux sont touchés au sein d’un même troupeau, et les signes cliniques peuvent ne se déclarer que plusieurs semaines après l’exposition à la plante.

B. La porcelle enracinée ne déclencherait la maladie que lorsqu’elle est stressée

Malgré la corrélation fréquemment relevée entre le développement du harper et la présence de porcelle enracinée, les tentatives de démonstration du lien de causalité entre les deux sont limitées. Le lien entre la plante et la pathologie s’est d’abord fait plutôt indirectement, par le constat de l’apparition des signes cliniques dans une pâture, et leur régression dans une autre, puis leur retour dans la pâture initiale.

Tester directement le lien entre une plante et une pathologie implique d’intoxiquer des individus afin d’observer s’ils développent la pathologie. Une telle expérimentation n’a été à ce jour réalisée que sur un seul individu, au Brésil : un poulain de 6 mois a été nourri durant 50 jours presque uniquement de porcelle enracinée issue d’un paddock où des cas de harper ont été détectés, et a développé des signes cliniques de harper. Nourri durant quelques jours avec de la porcelle issue d’un autre paddock, l’état du poulain s’est amélioré, puis s’est re-dégradé lorsqu’il a été de nouveau nourri avec la porcelle du paddock de départ incriminé (Araújo et al. 2008, Figure 4).

Dans une autre étude, on a relevé dans l’urine, le foie et le cerveau de souris nourries de porcelle enracinée, des augmentations de concentration d’un composé chimique associé à des maladies neurodégénératives, bien que les souris n’aient pas développé de symptômes locomoteurs (Domange et al. 2008). De nombreuses autres études ont été menées, mais leurs résultats sont souvent négatifs ou ne permettent pas de conclure.

Ainsi, le harper associé aux pâtures apparaît seulement dans certaines régions, voire dans certains paddocks au sein même d’une écurie, comme dans l’expérimentation décrite ci-dessus. De plus, au sein d’un même troupeau, généralement seuls certains chevaux développent le harper associé aux pâtures. La présence ou la consommation de porcelle enracinée ne suffirait donc pas à rendre les chevaux malades. Cela suggère que d’autres facteurs sont nécessaires à l’apparition de la pathologie.

Une étude a montré que la porcelle enracinée produit des molécules particulières suite à un stress chimique ou climatique. Des cultures de tissus de souris ont montré des changements dégénératifs lorsqu’ils étaient exposés à des extraits de porcelle enracinée soumis à un stress chimique (chlorure de cuivre), comparé aux tissus exposés à des extraits de porcelle enracinée non-stressés (MacKay et al. 2013). Ainsi, la porcelle enracinée stressée par un déficit hydrique (sécheresse) pourrait développer des composés toxiques, qui seraient responsables du harper associé aux pâtures.

Dans l’ensemble, les connaissances actuelles indiquent que la porcelle enracinée serait bien responsable du harper associé aux pâtures, mais seulement lorsqu’elle est stressée par les conditions climatiques. Enfin, il faut noter que les intoxications en lien avec la porcelle enracinée ne sont avérées que chez les équidés. En effet, la plante est comestible pour les autres espèces, y compris les humains.


Conclusion

Conclusion

Les connaissances actuelles indiquent que le harper associé aux pâtures se déclenche suite à la consommation de porcelle enracinée dans un contexte de sécheresse. Cela induit alors des lésions des nerfs, causant une anomalie de locomotion des membres postérieurs. Tout n’est pas encore parfaitement connu sur le harper associé aux pâtures et les facteurs qui le déclenchent : des recherches restent à faire pour identifier les causes exactes de la maladie.

Vous aimeriez maintenant savoir reconnaître la porcelle enracinée ? Un article dédié à la reconnaissance de cette plante est en préparation !


Références

Références

Cette synthèse a été rédigée par Nadège Bélouard, Mary Jaguin et Anne Pécoil, avec l’aide d’Angélique Decarpentry. Elle a été relue par Fanny Carrière, Aude Caussarieu, Flora Druez, Jean-François Florent, Anne-Charlotte Monteiro, Stéphanie Ronckier et Laurianne Vargas. Les illustrations sont de Claire Béjat. La photo de bannière et la vidéo appartiennent à Maryline Jacon. La synthèse a été éditée et mise en ligne par Stéphanie Ronckier.

Référence complète de l’article :

El-Hage C.M., Huntington P.J., Mayhew I.G., Slocombe R.F., Tennent-Brown B.S., 2017. Pasture-associated stringhalt: Contemporary appraisal of an enigmatic syndrome. Equine Veterinary Education 31(3): 154-162. doi: 10.1111/eve.12751

L’étude sur BEVA (British Equine Veterinary Association)

Autres références:

Araújo J.A.S., Curcio B., Alda J., Medeiros R.M.T., Riet-Correa F., 2008. Stringhalt in Brazilian horses caused by Hypochaeris radicata. Toxicon 52:190-193. doi: 10.1016/j.toxicon.2008.04.164

Domange C., Canlet C., Traore A., Bielicki G., Keller C., Paris A., Priymenko N., 2008. Orthologous metabonomic qualification of a rodent model combined with magnetic resonance imaging for an integrated evaluation of the toxicity of Hypochoeris radicata. Chemical Research in Toxicology: 21, 2082-2096.

Domange C., Casteignau A., Collignon G., Pumarola M., Priymenko N., 2010. Longitudinal study of Australian stringhalt cases in France. Journal of Animal Physiology and Animal Nutrition 94: 712-720.

Huntington P.J., Jeffcott L.B., Friend S.C.E., Luff A.R., Finkelstein D.I., Flynn R.J., 1989. Australian Stringhalt – epidemiological, clinical et neurological investigations. Equine Veterinary Journal 21(4): 266-273.

MacKay R.J., Wyer S., Gilmour A., Kongara K., Harding D.R., Clark S., Mayhew I.G., Thomson C.E., 2013. Cytotoxic activity of extracts from Hypochaeris radicata. Toxicon 70:194-203. doi: 10.1016/j.toxicon.2013.04.023


Annexes

Classification du degré de gravité des signes cliniques du harper associé aux pâtures (texte ci-dessous). D’après El-Hage et al. (2017).

Classification du degré de gravité des signes cliniques du harper associé aux pâtures:

  • Catégorie 1 : visible seulement quand le cheval recule, tourne ou est stressé.
  • Catégorie 2 : Légère anomalie du mouvement du postérieur quand le cheval marche ou trotte.
  • Catégorie 3 : Hyperflexion modérée et visible au pas et au trot, surtout quand le cheval se met en mouvement ou s’arrête.
  • Catégorie 4 : Hyperflexion sévère, avec les postérieurs qui frappent l’abdomen quand le cheval recule ou tourne. Cheval incapable de trotter.
  • Catégorie 5 : Postérieur en hyperflexion de manière prolongée à l’initiation du mouvement, qui peut être plongeant, sautant ou sautillant.
  • Catégorie 6 : décubitus prolongé suite à des signes cliniques de catégorie 4-5.
[Dossier]Porcelle enracinée et harper australien chez le cheval (Synthèse de l’article d’El-Hage et al., 2017
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