[Résumé]La couleur des obstacles influence-t-elle la qualité de saut des chevaux ? – Paul et Stevens, 2019
La couleur des obstacles peut-elle améliorer la performance et la sécurité des chevaux de course ?
Résumé
La vue est l’un des sens principaux grâce auxquels les chevaux perçoivent leur environnement et s’y adaptent. Pourtant, de nos jours, la couleur utilisée pour démarquer les sauts sur les champs de course est uniquement fondée sur une perception humaine. Nous voyons mieux la couleur orange, et c’est donc cette couleur qui est incorporée aux obstacles. Or, les accidents sur les courses d’obstacles sont fréquents : la British Horseracing Authority recense en moyenne 176 chevaux morts entre 2012 et 2017 sur un champ de course, la majorité sur des courses d’obstacles.
Dans le même temps, les questions du bien-être et de la sécurité des animaux prennent plus d’ampleur. Il est donc particulièrement pertinent de se pencher sur l’amélioration de la sécurité des chevaux de course, notamment lors des disciplines impliquant des sauts, et ce d’autant plus que les sports hippiques sont les plus regardés dans le monde. Il est désormais possible non seulement de déterminer quelles couleurs sont les plus visibles pour les chevaux en fonction de la luminosité ambiante et des conditions météorologiques, mais aussi d’observer quels changements d’attitude un cheval peut montrer lors d’un saut selon les couleurs utilisées sur les obstacles.
Paul et Stevens ont donc exploré deux questions : comment les chevaux perçoivent-ils les couleurs ? À quel niveau ces différentes couleurs pourraient influencer les sauts effectués ?
Méthode
1. Perception des couleurs
Les chevaux ont une vision dichromatique, et voient donc mieux le bleu et le jaune. Mais qu’en est-il dans le contexte d’un champ de course ? Il y a trois parties essentielles dans un obstacle de course pour cette étude :
La barre d’appel, à la base de l’obstacle ;
Le midrail, au milieu ;
Le haut de l’obstacle.
Traditionnellement, la barre d’appel et le midrail sont orange (Fig. 1). Pour cette étude, Paul et Stevens ont peint différentes planches de bois à placer en barre d’appel et ont utilisé du nylon coloré pour le midrail afin de tester la visibilité et le contraste de différentes couleurs et luminances (mat ou brillant).
Paul et Stevens ont donc pris 131 photos d’obstacles sur 11 hippodromes britanniques. Elles ont toutes été prises à une distance de 32 mètres de l’obstacle, soit quatre foulées de galop et un appel, à divers moments de la journée où les courses ont généralement lieu, sous diverses conditions météorologiques et avec différentes couleurs. Ils ont converti ces photos en vision du cheval par traitement informatique pour déterminer quelles couleurs et luminances étaient les plus sensibles pour les chevaux.
2. Profil des sauts effectués selon les couleurs de l’obstacle
Quatorze chevaux montés par deux jockeys professionnels ont effectué deux séries de sauts : la première sur deux obstacles orange, comme ils le sont actuellement sur les hippodromes, et la deuxième série sur un obstacle orange et un obstacle de couleur déterminée plus visible dans la première phase de l’étude : jaune fluorescent, bleu vif ou blanc. Afin d’éviter un effet d’ordre, les couleurs sont disposées de manière aléatoire. Les chercheurs ont en tout six combinaisons possibles (Fig. 2)
Chaque saut a été enregistré pour en analyser les paramètres (hauteur, longueur, angles d’appel et de réception) en détails.
Résultats
1. Perception des couleurs.
Paul et Stevens observent trois couleurs plus visibles pour les chevaux : le jaune fluo, le bleu vif et le blanc.
Le jaune fluorescent a le contraste de couleur et de luminance le plus élevé avec l’environnement derrière l’obstacle (végétation, ciel, tribunes…). Cependant en fin de journée le bleu vif et le blanc ont un contraste plus marqué que le jaune fluorescent.
Le contraste est maximisé par des blancs ou des bleus très lumineux à la base de l’obstacle et un jaune fluorescent sur le midrail.
2. Profil des sauts effectués selon les couleurs de l’obstacle
Avec la couleur bleue, les chevaux sautent plus en hauteur et se réceptionnent plus près de l’obstacle.
Avec la couleur blanche, ils font un saut plus long et plus proche de l’obstacle.
Avec la couleur jaune, ils se réceptionnent plus près de l’obstacle.
La réception plus proche de l’obstacle est corrélée à plus de sécurité pour les chevaux, tandis qu’un saut plus long que haut permet plus de vitesse, et c’est donc un profil de saut plus courant sur les courses hippiques.
Conclusion
Paul et Stevens concluent de leur étude qu’il serait bénéfique pour la sécurité et la performance des chevaux de remplacer la couleur orange des haies et obstacles de courses hippiques par du jaune fluorescent sur le midrail et du bleu vif ou du blanc en barre d’appel. Ceci aiderait les chevaux à mieux anticiper leurs sauts, sans créer un profil “en cloche” qui ferait pâtir leur performance.
Ils suggèrent aussi de prendre en compte d’autres paramètres dans une prochaine étude, à savoir la cognition, l’apprentissage, les expériences passées et l’état physiologique.
En savoir plus sur l’étude de la perception des couleurs par les chevaux
Quelles couleurs les chevaux perçoivent-ils le mieux ?
Les études actuelles permettent de connaître le type de vision et les couleurs que perçoivent les chevaux. Toutefois, une enquête approfondie sur la visibilité des marqueurs actuels pour les chevaux fait défaut.
Le cheval a une vision dichromatique (sensibilité aux longueurs d’ondes courtes et moyennes, donc du bleu au jaune). La couleur orange actuellement utilisée est peu visible pour lui et ne contraste pas assez avec son environnement. Quelles couleurs alternatives pourraient être utilisées pour améliorer la visibilité des obstacles et les réponses comportementales des chevaux ?
Méthode
Cette première partie de l’étude a été réalisée sur 11 hippodromes du Royaume-Uni.
Les chercheurs ont pris 131 images numériques d’obstacles, converties en vision du cheval par traitement informatique. Les photos ont été prises à une distance de 32 mètres, soit quatre foulées de galop et l’appel, et toujours pendant la journée ou la soirée à environ trois heures du coucher du soleil, puisque la plupart des courses ont lieu dans ces plages horaires. Les chercheurs ont divisé les conditions météorologiques et lumineuses en six catégories :
ensoleillé
ensoleillé avec couverture nuageuse
couvert
sombre
journée
soirée
Afin d’étudier le contraste visuel et l’effet de la luminance (claire ou foncée), un large panel de couleurs et de textures (mat ou brillant) a été utilisé à différents moments de la journée.
Trois zones clé de l’obstacle sont étudiées de près (Fig. 1, ci-dessous) :
La planche d’appel (traditionnellement orange) et l’environnement avant le saut ;
La zone intermédiaire de l’obstacle, appelée midrail (traditionnellement orange), et son environnement interne ;
La partie supérieure de l’obstacle (souvent le haut d’une haie, où il n’y a pas d’élément coloré ajouté) et son environnement (type arbre ou ciel).
Pour tester différentes couleurs, les chercheurs ont peint une planche en bois de différentes couleurs pour la mettre à la base de l’obstacle (planche d’appel). Ils ont utilisé du nylon enduit de différentes couleurs sur la barre solide du midrail.
Résultats
Les résultats sont sans appel : la visibilité des barrières et haies est fortement affectée par le type de couleur utilisée et le matériel. Les couleurs orange actuelles sont souvent peu visibles pour les chevaux comparées aux alternatives bleue, jaune et blanche testées.
Le bleu vif induit un plus fort contraste de luminance et la couleur jaune fluorescent possède le contraste de couleur et de luminance le plus élevé avec l’environnement derrière l’obstacle (végétation, ciel, tribunes…).
Cependant, les conditions météorologiques et la luminosité ont également un effet important. Ainsi, en fin de journée le contraste du jaune et de l’orange est réduit tandis que le blanc et le bleu vif conservent un contraste important.
Le contraste est maximisé par des blancs ou des bleus très lumineux à la base de l’obstacle et un jaune fluorescent sur le midrail.
En savoir plus sur l’étude des sauts effectués selon les couleurs présentes sur les obstacles
Quel impact les couleurs ont-elles sur les sauts des chevaux ?
Les résultats obtenus ont ensuite été utilisés pour les essais comportementaux afin d’étudier les trajectoires de sauts selon les couleurs employées.
Méthode
14 chevaux ont été préalablement sélectionnés chez un entraîneur et montés par deux jockeys professionnels.
Les chevaux ont effectué deux séries de sauts (Fig. 2, ci-dessous). La première, sur des sauts classiques comportant la couleur orange actuelle, n’incluait aucune variation de couleur. La deuxième série a permis de tester trois passages sur une paire d’obstacles avec un ordre de passage :
Un obstacle actuel de couleur unie orange pour la planche d’appel et midrail ;
Un obstacle avec les alternatives identifiées comme étant les plus visuelles dans le premier test : blanc, jaune fluorescent ou bleu, uniquement testées sur la planche d’appel et le midrail.
Afin de prendre en compte l’effet d’ordre, les couleurs alternatives ont été utilisées soit en premier soit en second obstacle – par exemple un premier obstacle avec une planche d’appel orange et un midrail en orange, puis le deuxième avec une planche d’appel bleue et un midrail bleu, et inversement. Les chercheurs ont ainsi pu tester 6 combinaisons différentes. Différents paramètres du saut tels que la distance et la hauteur ont été enregistrés en détail.
Résultats
La façon d’aborder et de sauter l’obstacle est différente selon le type de couleur utilisé. Elle est également influencée par l’ordre des couleurs et si le cheval a déjà sauté ou non la paire d’obstacles.
Avec la couleur bleue, les chevaux ont montré un angle de décollage plus important, donc un saut dans la hauteur, et ce plus particulièrement lorsque cette couleur était présente sur le premier obstacle.
Avec le blanc, les chevaux sautaient de plus loin, avec une trajectoire plus longue et plus proche du haut de l’obstacle. Le blanc permettrait donc au cheval d’anticiper davantage.
Enfin, le jaune fluorescent a permis une réception de saut plus tôt et une foulée plus courte.
La couleur des obstacles a donc influencé à la fois l’angle du saut et les distances sautées (Fig. 3).
Discussion
Cette étude montre que la couleur orange actuellement utilisée sur les obstacles de steeplechase est particulièrement visible par un œil humain à la vision trichromatique, mais est peu visible et peu contrastée avec l’environnement pour l’œil du cheval à la vision dichromatique.
Les couleurs alternatives testées, c’est-à-dire le bleu vif, le blanc et le jaune fluorescent, ont influencé non seulement l’angle du saut mais aussi la longueur de ce dernier. Les distances à la réception ont été beaucoup plus courtes lorsque les chevaux ont sauté des obstacles avec des marqueurs jaune fluorescent. Or ce type de réception est souvent associé à une meilleure performance de saut dans beaucoup de disciplines équestres puisqu’il en ressort une probabilité plus faible de toucher un obstacle. De même, un angle d’abord plus important est parfois lié à un saut plus rond dans les sports équestres, ce qui n’est pas forcément souhaitable dans les courses hippiques où un saut plus plat est généralement privilégié pour réduire la perte de vitesse.
Le jaune fluorescent offre le contraste de luminance et de couleur le plus élevé de toutes les couleurs testées, sauf en cas de contre-jour important. Le jaune non fluorescent offre un contraste similaire aux couleurs actuelles utilisées et n’est donc pas à privilégier. Le bleu clair et le blanc offrent normalement un bon contraste mais ils peuvent se confondre avec le ciel s’ils sont placés sur la hauteur de l’obstacle.
Dans le cas où le budget de l’hippodrome ne permettrait pas la mise en place de jaune fluorescent mat sur les obstacles à cause du coût impliqué, la couleur blanche ou le bleu clair sont les alternatives les plus appropriées.
Suite à cette étude, les chercheurs recommandent donc de privilégier les couleurs blanches ou bleu clair à la base des obstacles, qui sont généralement dans l’ombre et ne peuvent pas se confondre avec le ciel, et d’appliquer la couleur jaune fluorescent sur le midrail. Cela permettrait d’améliorer nettement la visibilité de l’obstacle pour le cheval, dont la sécurité et la performance en bénéficieraient.
Différents paramètres complémentaires pourraient être pris en compte dans une prochaine étude, à savoir la cognition, l’apprentissage, les expériences passées, et l’état physiologique.
Références
Références
Cet article a été résumé par Laura ARMAND. Il a été relu par Claire BARTHOLINI et Fanny CARRIERE. Les illustrations ont été réalisées par Claire BÉJAT. La photo miniature et de bannière vient de Pixabay. Ce résumé a été mis en ligne par Stépahnie RONCKIER.
Référence complète de l’article
Horse vision and obstacle visibility in horseracing, (2019) Sarah Catherine Paul & Martin Stevens. Centre for Ecology & Conservation, University of Exeter, Penryn Campus, Penryn, TR10 9FE, UK2 Current address: Faculty of Biology, Bielefeld University, Department of Chemical Ecology, Universitätsstraße 25, Bielefeld, 33615, Germany.
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[Résumé]La couleur des obstacles influence-t-elle la qualité de saut des chevaux ? – Paul et Stevens, 2019