Mettre ou ne pas mettre la couverture : telle est la question !

Résumé

Comment savoir si son cheval a besoin d’une couverture ? On a beau faire de notre mieux, être branché.e sur les chaînes météo du soir au matin et scruter son poil d’hiver, il est toujours délicat de choisir à la place de son animal. Et pourquoi ne pourrait-il pas nous donner son avis ? C’est l’idée soulevée par le Dr. Cecilie M. Mejdell et ses collaborateurs dans une étude publiée en 2016. Ils ont élaboré un système simple de communication par symbole qui permet au cheval d’indiquer s’il souhaite mettre ou non sa couverture. Mais celui-ci a-t-il seulement la capacité de communiquer ses préférences ? Pour s’assurer qu’il comprenne bien les symboles qu’il utilise, les chercheurs ont observé si les choix variaient logiquement en fonction de la météo…

Méthode

23 chevaux qui ont l’habitude de porter des couvertures participent à l’étude. Elle se déroule en deux grandes étapes.

1) Phase d’apprentissage du système de communication :

Les chercheurs utilisent la méthode du clicker-training, et donc du conditionnement par renforcement positif. 

D’abord, ils entraînent le cheval à aller toucher avec son nez un panneau sans symbole. Ensuite, ils introduisent trois symboles non aversifs, non ambigus, simples et abstraits (figure 1 ci-dessous) :

o   METTRE LA COUVERTURE : trait noir horizontal

o   ENLEVER LA COUVERTURE : trait noir vertical

o   PAS DE CHANGEMENT : rien (fond blanc)

Figure illustrant les trois panneaux utilisés pour l'expérience (décrits dans le texte)
Figure 1 : Les trois panneaux utilisés pour l’expérience

Les panneaux avec symbole sont présentés au cheval selon différents agencements qui lui permettent de les associer avec leur signification. Les réponses pertinentes sont récompensées, tandis que les réponses inappropriées (ex. toucher le panneau « mettre la couverture » alors qu’il en porte déjà une) sont ignorées. 

Les chercheurs font aussi différents tests pour faire comprendre au cheval le lien entre ses choix et son confort thermique (voir « En savoir plus sur le protocole »).

2)  Phase d’utilisation du système de communication :

Pour vérifier si le cheval a bien compris que ses choix permettent d’indiquer ses préférences, il passe au test du choix libre. Cette fois-ci, quoi qu’il réponde, il sera récompensé car il n’y a plus de symbole inapproprié (voir « En savoir plus sur le protocole »). 

Deux symboles cohérents lui sont proposés selon qu’il porte préalablement une couverture ou non (figure 2). Il ne reste plus qu’à répéter l’opération sous différentes conditions météorologiques et comparer les choix des chevaux.

Dessin d'un cheval sur le point de toucher un panneau avec un trait vertical
Figure 2 : test du choix libre entre « PAS DE CHANGEMENT » et « ENLEVER LA COUVERTURE » pour un cheval déjà couvert. Ici, le cheval touche le panneau “PAS DE CHANGEMENT” et gardera sa couverture.

Résultats

Les 23 chevaux ont appris le système de communication sans difficulté.

Les analyses statistiques du test de choix libre montrent que le choix d’être couvert ou non varie significativement avec les conditions météorologiques (p<0.005). La majorité des chevaux est allée toucher le panneau leur permettant d’avoir une couverture quand il faisait froid et humide. Au contraire, ils ont tous préféré se passer de la couverture par beau temps. 

Tableau 1 : Résultats des tests de libre choix effectués par les chevaux et des conditions météorologiques lors du test. Chaque ligne représente un cheval testé et le pictogramme correspond au choix effectué par le cheval : porter ou ne pas porter de couverture. La majorité des chevaux ont choisi de rester sans couverture les deux jours ensoleillés et doux, (18 sur 22) et d'ajouter une couvertire lorsqu'il  a plu et qu'il a fait plus froid. (15 sur 22 en avril, 20 en septembre)
Tableau 1 : Résultats des tests de libre choix effectués par les chevaux et des conditions météorologiques lors du test. Chaque ligne représente un cheval testé et le pictogramme correspond au choix effectué par le cheval : porter ou ne pas porter de couverture.

Discussion

Ces résultats confortent l’hypothèse que le cheval peut bel et bien apprendre la signification de symboles pour communiquer ses préférences. Il est capable de choisir de façon logique la conséquence la plus favorable à son propre bien-être : porter ou ne pas porter de couverture.

Il est intéressant de constater que la méthode de renforcement positif par le clicker training crée un espace d’expression idéal pour le cheval. Il ne ressent pas la crainte d’être réprimandé ou contraint et témoigne même d’une importante motivation à effectuer l’exercice. Alors pourquoi ne pas utiliser ce système de communication au quotidien pour prendre en compte les préférences de notre compagnon ?

Cependant, avant l’étude, que ce soit au niveau de la tonte ou du port de la couverture, chaque propriétaire suivait sa propre routine pour son cheval. L’épaisseur du poil et l’expérience passée de la couverture ont-ils influencé les choix des équidés ? Il serait intéressant de reproduire ce protocole expérimental en contrôlant ces différents aspects, et observer si les résultats confortent ou non ceux présentés ici.

Note : La capacité du cheval à s’adapter au monde humain ne cessera jamais de nous surprendre. Dans cette étude, les équidés s’approprient parfaitement ce système de communication abstrait, bien loin de leurs habitudes naturelles. Maintenant, une réflexion s’impose : faut-il nécessairement que le cheval apprenne à « parler humain » pour se faire comprendre, ou devrions-nous plutôt apprendre à « parler cheval » ?


En savoir plus sur le protocole

Chevaux

L’étude est menée en Norvège, au cours de l’année 2013. Les 23 chevaux ont entre 3 et 16 ans et pratiquent majoritairement le dressage, le saut ou l’équitation de loisir. Il y a 13 chevaux de « sang-froid » et 10 de « sang-chaud », 18 hongres et 5 juments. Ils sont répartis dans deux écuries différentes et sortent tous la journée, dans des paddocks de 2 à 3 individus. Un cheval a eu des problèmes de santé indépendants de l’étude. Il n’a pas pu terminer les derniers tests. Les données analysées portent donc sur un total de 22 chevaux. 

Protocole d’apprentissage

Le protocole d’apprentissage dure 14 jours en tout. Il est scindé en trois parties (A, B et C) comportant un total de 10 étapes (voir ci-dessous). Le cheval doit maîtriser chaque étape avant de passer à la suivante. Les chevaux sont entraînés à raison de 2 à 3 séances quotidiennes d’environ 5 minutes chacune. L’apprentissage est acquis lorsque le cheval est capable de différencier les symboles et de comprendre la conséquence associée à chacun d’entre eux sur son confort thermique.

A et B sont des phases d’apprentissage où l’on associe une action (le choix d’un symbole) à une conséquence (mettre, enlever la couverture ou ne rien faire). C’est le principe du conditionnement opérant. Le cheval n’est pas contraint, mais motivé par l’ajout d’une récompense (renforcement positif), ici la friandise.

A. Apprentissage du comportement de “toucher” le panneau 

1) Toucher le panneau avec le bout du nez

2) Toucher le panneau à différentes places

3) Avancer de 5 mètres pour toucher le panneau

4) Avancer de 5 mètres pour toucher le panneau à différentes places

B. Apprentissage des symboles et de leur signification 
Figure illustrant les trois panneaux utilisés pour l'expérience (décrits dans le texte)
Figure 1 : Les trois panneaux utilisés pour l’expérience

5) Associer les conséquences des panneaux « ENLEVER LA COUVERTURE », c’est-à-dire un trait noir vertical, et « METTRE LA COUVERTURE », un trait noir horizontal.

6) Vérifier la cohérence des choix du cheval. Pour cela, les chercheurs présentent des situations où un des symboles présentés est inapproprié (ex. « ENLEVER LA COUVERTURE » alors que le cheval n’en porte pas). Logiquement, le cheval ne doit pas le choisir.

7) Encourager le cheval à faire le lien entre son choix et la régulation thermique. Pour cela, les chercheurs effectuent un test de chaud/froid. Ils surcouvrent le cheval pour vérifier s’il choisit d’enlever la couverture, ou l’exposent au froid pour vérifier s’il choisit d’en mettre une.

8) Vérifier que le cheval touche un symbole approprié quels que soient la position des panneaux et le contexte de présentation.

C. Préparer le test du choix libre

9) Introduire le symbole « PAS DE CHANGEMENT », qui est toujours récompensé car toujours approprié à la situation. Pour que le cheval ne sélectionne pas ce symbole simplement pour éviter d’être manipulé, l’entraîneur le touche systématiquement sur l’ensemble du corps. On présente aléatoirement deux symboles sur les trois au cheval. Après 14 essais de suite réussis sans hésitation, il passe à l’étape 10 finale.

10) Introduire le test du choix libre. Il n’y a plus de symbole inapproprié et le cheval est toujours récompensé quoi qu’il choisisse. 

Dessin d'un cheval sur le point de toucher un panneau avec un trait vertical
Figure 2 : test du choix libre entre « PAS DE CHANGEMENT » et « ENLEVER LA COUVERTURE » pour un cheval déjà couvert. Ici, le cheval touche le panneau “PAS DE CHANGEMENT” et gardera sa couverture.

Test

Une fois l’apprentissage terminé, on peut passer à la phase de test. Le test du choix libre est présenté à l’équidé lors de différentes conditions météorologiques, par des temps pluvieux, très froids ou plus cléments. Ce sont ces données qui sont analysées pour déterminer si le cheval peut bel et bien choisir ce qui est le mieux pour son confort.

En savoir plus sur les résultats

Quels sont les résultats ?

Tous les chevaux ont appris le système de communication dans la limite des 14 jours. Toutefois, les chercheurs ont observé des variations inter-individuelles (entre les individus) dans la durée d’apprentissage des chevaux. Les chevaux à sang froid ont eu besoin en moyenne de plus de séances d’apprentissage que les chevaux à sang chaud (p < 0.05). Cela ne signifie pas qu’ils sont moins intelligents ! Par exemple, certains chevaux ont pris plus de temps pour apprendre les différentes étapes car ils ont cherché des « failles » pour obtenir plus de récompenses quand d’autres chevaux n’ont pas exploré d’autres solutions. Un cheval de trois ans semblait même amusé par l’action de mettre et d’enlever la couverture, et il a dû faire plus de tests “chaud/froid” (phase 7) pour comprendre les conséquences physiologiques de son action au-delà du simple jeu. 

Les choix des équidés varient significativement en fonction du temps (p < 0.005). Ils choisissent de porter une couverture quand le temps est mauvais et de ne pas en avoir quand il fait bon. Avant de commencer le test, 10 chevaux portaient une couverture selon la routine de leur propriétaire, et les 12 autres n’en portaient pas. Après deux jours ensoleillés consécutifs à 20-30°C, les 10 chevaux qui portaient une couverture ont demandé à l’enlever. Les 12 autres, sans couverture, ont choisi de ne rien changer. Après deux jours pluvieux consécutifs à 5-9°C, les 10 chevaux avec couverture ont exprimé leur préférence de rester couvert. Sur les 12 autres, seulement 2 ont décidé de rester sans couverture. Mais par des temps plus extrêmes (1°C et -12°C), ces deux derniers ont finalement choisi d’en porter une.

Tableau 1 : Résultats des tests de libre choix effectués par les chevaux et des conditions météorologiques lors du test. Chaque ligne représente un cheval testé et le pictogramme correspond au choix effectué par le cheval : porter ou ne pas porter de couverture. La majorité des chevaux ont choisi de rester sans couverture les deux jours ensoleillés et doux, (18 sur 22) et d'ajouter une couvertire lorsqu'il  a plu et qu'il a fait plus froid. (15 sur 22 en avril, 20 en septembre)
Tableau 1 : Résultats des tests de libre choix effectués par les chevaux et des conditions météorologiques lors du test. Chaque ligne représente un cheval testé et le pictogramme correspond au choix effectué par le cheval : porter ou ne pas porter de couverture.

Penchons nous sur le tableau 1. Le 24 avril il faisait 6°C : tous les chevaux ont choisi d’être couverts. Le 23 septembre est un jour aussi froid et humide mais avec des conditions légèrement plus clémentes (9°C). Deux chevaux ont alors décidé de ne pas porter de couverture. Cela peut s’expliquer par des niveaux différents de sensibilité à la température. Le choix de Hrafn et Rauen ne signifie pas qu’ils n’ont pas compris ou bien que le protocole est défaillant, ils sont sûrement moins frileux que les autres. L’intérêt de cet apprentissage est donc l’adaptabilité à chaque cheval, selon sa propre sensibilité. Voici donc un outil intéressant qui pourrait permettre de résoudre le dilemme « couvrir ou ne pas couvrir » ! 

Le système de communication par symbole de cette étude est simple à mettre en place, rapide et avec une réussite d’apprentissage de 100% de sujets d’âges et de races variés. Il pourrait servir pour de futures recherches sur les préférences des équidés.

Des études antérieures ont trouvé que le cheval peut discriminer des cibles visuelles et apprendre leur signification (Nicol, 2002; Hanggi, 2005). L’étude de C. Mejdell montre, quant à elle, qu’un système de choix par symbole permet au cheval de communiquer ses préférences. Plus globalement, cette expérience apporte de nouvelles données sur la cognition et les capacités d’apprentissage des chevaux, qui n’ont pas fini de nous étonner !

Références

Références

Cet article a été résumé par Meriem Paris. Il a été relu par Juliane Demellier, Servane Dejour, Nadège Bélouard et Claire Bartholini. Les illustrations sont de Claire Béjat. Cet article a été édité par Stéphanie Ronckier.

Référence complète de l’article

Mejdell, C. M., Buvik, T., Jørgensen, G. H. M., & Bøe, K. E. (2016). Horses can learn to use symbols to communicate their preferences. Applied Animal Behaviour Science, 184, 66‑73. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2016.07.014

Bibliographie intéressante

Hanggi, E. B. (2005, December). The thinking horse: cognition and perception reviewed. In AAEP Proceedings (Vol. 51, pp. 246-255).

Nicol, C. J. (2002). Equine learning: progress and suggestions for future research. Applied Animal Behaviour Science, 78(2-4), 193-208.

Skinner, B. F. (1965). Science and human behavior (No. 92904). Simon and Schuster.

Søndergaard, E., Jensen, M. B., & Nicol, C. J. (2011). Motivation for social contact in horses measured by operant conditioning. Applied Animal Behaviour Science, 132(3-4), 131-137.

Von Borstel, U. U., Duncan, I. J. H., Shoveller, A. K., Merkies, K., Keeling, L. J., & Millman, S. T. (2009). Impact of riding in a coercively obtained Rollkur posture on welfare and fear of performance horses. Applied Animal Behaviour Science, 116(2-4), 228-236


[Résumé] Mettre ou ne pas mettre la couverture… Et s’il pouvait vous répondre ? – Mejdell et al, 2016
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