Les brosses rotatives automatiques sont-elles source d’émotions positives et d’interactions sociales positives ?

Deux chevaux se grattent mutuellement le garrot

Résumé

Des études ont déjà été menées sur les bienfaits de l’allogrooming. En effet, ce toilettage mutuel entre deux congénères induit un état affectif positif. L’utilisation de brosses rotatives automatiques a également déjà fait ses preuves chez les bovins qui l’utilisent largement pour se gratter, ce qui contribue à leur bien-être. Qu’en est-il chez les chevaux ? Léa Lansade et son équipe s’intéressent au sujet et plus précisément à l’impact émotionnel et social que peut avoir l’installation de ces brosses automatiques dans l’environnement de vie d’un groupe de chevaux.  

  1. Les chevaux utilisent-ils ce type de brosses et si oui, comment ?
  2. L’utilisation de ces brosses induit-elle des comportements sociaux positifs ou négatifs ?
  3. Cette utilisation provoque-t-elle les mêmes expressions faciales positives que lors du grattage réalisé par un humain ? Et dans ce cas, ces expressions ont-elles une fonction sociale ou non ?

Méthode

Pour répondre à ces trois questions, deux brosses automatiques et des caméras ont été installées dans le milieu de vie de 40 ponettes vivant en groupe. 

139 séquences vidéos ont pu être analysées.

Résultats

Utilisation des brosses

Cette étude a montré qu’une large proportion des chevaux vivant en groupe (87,5%) a recours à la brosse automatique, notamment sur une zone du corps non grattée par les congénères, la tête.

En figure a, 7,91%  des chevaux utilisent leur arrière - main pour activer la brosse; 22,30% utilisent leur avant-main; 44,6 % utilisent leur tête et 25,18% sont venus sur la brosse déjà activée par un congénère avant eux. En Figure b, 24,41% des chevaux brossent leur avant-main, 33,17% leur arrière-main et 42,42% leur tête.
Figure 1 : a. Partie du corps utilisée pour activer la brosse en % sur un total de 139 activations ; b. Pourcentage de temps passé à brosser chaque zone du corps.
Comportement au sein du groupe
  • Aucun comportement agressif observé ;
  • 7,57% des séquences montrent de l’allogrooming.
Expressions faciales
expressions faciales négatives 3,82% contre 39,94% d'expressions faciales positives
Figure 2 : Proportion des expressions faciales observées durant l’utilisation de la brosse sur la totalité des séquences analysées. Les résultats sont significatifs ; valeur p< 0,0001, symbolisé par ***.
  • Il n’a pas été possible de vérifier si l’apparition de ces expressions faciales positives advenait uniquement en présence d’un congénère puisque aucune séquence n’a montré un cheval seul, un congénère étant toujours à proximité.
  • Les chevaux qui utilisent la brosse en produisant une expression faciale positive ont 18,91% de chance de démarrer une activité d’allogrooming immédiatement après, contre seulement 2,94% de chance pour les chevaux qui n’expriment pas ces expressions faciales positives.

Discussion

A la lumière des résultats, l’installation de brosses rotatives automatiques dans les lieux de vie des chevaux, même ceux vivant en groupe, est donc recommandée pour améliorer leur bien-être. En effet, les brosses apparaissent dans cette étude comme des catalyseurs de comportements affiliatifs. Ceci pourrait être confirmé en comparant le nombre de comportement d’allogrooming dans un groupe ayant accès à des brosses et dans un autre groupe sans brosse. Le fait que 25% des chevaux utilisent la brosse précédemment activée par un autre cheval interroge également : facilitation sociale ou effet d’une accentuation locale lié à un nouveau stimulus ?

Concernant le rôle des mimiques faciales, trois pistes appellent à être étudiées :

  1. un signal de communication intentionnelle envers un congénère ;
  2. une contagion émotionnelle ;
  3. une caractéristique individuelle, c’est-à-dire propre à un individu qui apprécierait particulièrement les gratouilles. 

Dans tous les cas, il apparaît que la brosse semble bien avoir un rôle facilitant les interactions sociales positives à l’intérieur du groupe, renforçant la cohésion sociale.

En savoir plus sur le protocole

Quatre semaines avant le début de l’expérience

Le troupeau de quarante ponettes de race Welsh, d’une moyenne d’âge de 7,5 ans et de taille comprise entre 1m et 1,20 m, a été constitué. Elles vivent en troupeau au pâturage et sont rentrées de 8h30 à 15h30 dans une zone de stabulation couverte de paille (11 x 35m) donnant librement accès à un paddock adjacent (10 x 35m). Foin et eau sont disponibles à volonté. Deux brosses automatiques, de dimension 72 x 30 cm, ont été installées dans la zone couverte, à 10m de distance l’une de l’autre, et à hauteur de garrot des juments. Ces brosses, de marque MSB DeLaval, sont attachées à un axe mobile qui permet de bouger verticalement et horizontalement. La rotation, d’une vitesse de 25,5 tours/min, est déclenchée par le contact avec l’animal. 

Photo tirée de l'étude, montrant un poney se grattant avec les brosses automatiques
Figure 3 : Brosse automatique utilisée par un cheval lors de l’étude © Julie Lemarchand/Fabrice Reigner

Début et durée des observations 

Le troupeau étant familiarisé avec les brosses, des caméras ont été installées à proximité.

30h d’enregistrement ont été réalisées sur 4 jours répartis en deux fois 2 jours, sur 2 semaines.

Sélection des séquences

139 séquences d’utilisation des brosses ont pu être exploitées. Seulement 105 séquences ont permis l’observation des toilettages mutuels et des expressions faciales. Les autres séquences ont dû être écartées de l’analyse, ne permettant pas une collecte de données suffisantes.

Données observées 

  1. Utilisation des brosses

Ont été relevés :

  • le nombre de chevaux différents qui utilisent la brosse ;
  • le nombre de séquences où la brosse est activée ;
  • le temps en seconde d’utilisation de la brosse ;
  • la partie du corps utilisée pour activer la brosse (tête, avant-main ou arrière-main) ou si la brosse était déjà en marche à l’arrivée du cheval ;
  • le pourcentage de temps passé à brosser chaque zone du corps.
  1. Les comportements induits par l’utilisation des brosses au sein du groupe

Un système de réponses binaires « oui /non » a été attribué à l’observation de chaque séquence pour déterminer si un comportement positif ou négatif (Fig.4) était corrélé à l’utilisation de la brosse.

  1. Présence ou non d’expression faciale, positive ou négative, et à quelle fin

N.B. : pour valider la présence d’expressions faciales, tous les critères décrits dans la figure 4 doivent être observés. Si seule une partie des critères est observée, la séquence est jugée invalide et écartée de l’analyse.

Figure 4. Comportement et expressions faciales enregistrés lors de l’utilisation de la brosse Comportements positifs type allogrooming; Comportements négatifs type menace, morsure, coup de pied, attaque, poursuite Expressions faciales positives : lèvre supérieure avancée, narines relâchées, yeux ouverts à mi-clos, oreilles tournées vers l'arrière, encolure légèrement relevée Expressions faciales négatives: angle tête - encolure ouvert, oreilles plaquées sur la nuque, yeux grand-ouverts, option: bouche ouverte/dents visibles
Figure 4 : Comportement et expressions faciales enregistrés lors de l’utilisation de la brosse.

Dans un premier temps, l’observation de chaque séquence a déterminé :

  • le nombre d’expressions faciales positives ;
  • le nombre d’expressions faciales négatives ;
  • le nombre d’absences de réaction faciale.

Dans un deuxième temps, les séquences contenant des expressions faciales positives ont été traitées via deux autres analyses à réponse binaire oui/non :

  • s’il y avait un autre cheval à proximité (moins de 2 m) pour déterminer si ces expressions faciales sont déclenchées par la présence d’un congénère ;
  •  s’il y a eu un épisode d’allogrooming à la suite pour déterminer si ces expressions engendrent une réponse de la part du congénère.  

En savoir plus sur les résultats

Utilisation des brosses

  • 35 chevaux sur 40 ont utilisé les brosses.
  • Les brosses ont été activées 139 fois avec une moyenne par cheval de 3,97 fois (écart-type de 2.93).
  • Elles ont été utilisées en moyenne 55,28 secondes (écart-type de 4,125).

Comportements

L’accès à deux brosses pour 40 chevaux aurait pu être un enjeu de compétition et provoquer des comportements agressifs, mais cela n’a pas été le cas.

Présence ou non d’expression faciale, positive ou négative, et à quelle fin

  • Concernant l’effet de la présence d’un congénère à proximité sur l’apparition des expressions faciales :  aucun résultat possible. En effet, comme il y avait toujours (sauf une seule fois, sans expression faciale notée) au moins un cheval à proximité (moins de 2 m), il n’est pas possible d’établir si les expressions faciales sont un signal de communication entre les chevaux.
  • Concernant les comportements positifs des autres chevaux que pourraient induire les expressions faciales positives de celui qui se fait gratter par la brosse, 105 séquences ont été analysées dont :
    • 37 avec expressions faciales positives lors du brossage ;
    • 68 sans expression faciale lors du brossage.

On note que les chevaux ont 18,91% de chance de démarrer une activité d’allogrooming immédiatement après l’expression faciale positive (7 chevaux différents sur 37 séquences), contre 2,94% en l’absence d’expression faciale positive (2 chevaux différents sur 68 séquences).

N.B : Aucun comportement d’allogrooming n’a été observé après des expressions faciales négatives.

NDLR : Les résultats de cette étude montrent bien que l’installation de ces brosses au sein d’un groupe de chevaux améliore leur confort et favorise les interactions sociales positives. C’est un enrichissement du lieu de vie. Il serait intéressant par exemple d’étudier l’effet des brosses automatiques au sein d’un groupe où les tensions entre les congénères sont plus marquées pour voir si l’utilisation des brosses pourrait d’une certaine façon contrebalancer les comportements agonistiques par des comportements affiliatifs.

Références

Références

Cet article a été résumé par Lucie Chazallon et relu par Claire Bartholini et Juliane Demellier. Les illustrations sont de Claire Béjat. La photo de miniature et de bannière appartient à LRuss sur Pixabay. Ce résumé a été mis en ligne par Stéphanie Ronckier.

Référence complète de l’article

Lansade, L. et al., (2022). Automatic brushes induce positive emotions and foster positive social interactions in group-housed horses. Applied Animal Behaviour Science, Volume 246, January 2022, 105538. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2021.105538

Bibliographie intéressante

Feh, C., De Mazières, J., 1993. Grooming at a prefered site reduces heart rate in horses. Anim. Behav. 46, 1191–1194. Le résumé est accessible ici .

Lansade, L., Nowak, R., Lainé, A.-L., Leterrier, C., Bonneau, C., Parias, C., Bertin, A., Facial expression and oxytocin as possible markers of positive emotions in horses. Sci. Rep. 8 

Trösch, M., Pellon, S., Cuzol, F., Parias, C., Nowak, R., Calandreau, L., Lansade, L., 2020. Horses feel emotions when they watch positive and negative horse–human interactions in a video and transpose what they saw to real life. Anim. Cogn. 23, 643–653.

VanDierendonck, M.C., Spruijt, B.M., 2012. Coping in groups of domestic horses – review from a social and neurobiological perspective. Appl. Anim. Behav. Sci. 138, 194–202

[Résumé]Les brosses rotatives automatiques sont-elles source d’émotions et interactions sociales positives ? L. Lansade et al., 2021
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