[Résumé] Intérêt envers les humains : comparaisons entre chevaux d’enseignement et de médiation – Lerch et al., 2021
Les chevaux thérapeutes ont-ils une bonne image des humains ?
Résumé
Ces dernières années, l’utilisation des chevaux pour améliorer le bien-être humain gagne en popularité : le rôle de l’équithérapie n’est plus à démontrer. Certains supposent que les équidés, conscients du besoin des personnes, s’adapteraient à ces dernières. D’autres, au contraire, soulèvent la difficulté qu’auraient les chevaux à gérer des postures ou comportements humains inhabituels.
Durant les séances, nombreux sont les facteurs qui peuvent affecter la relation humain-cheval : réactions imprévisibles de l’humain, irritabilité et agressivité éventuelles, problèmes d’attention, asymétrie et manque de stabilité engendrant des douleurs dorsales… En revanche, aucune recherche n’a pu tester comment les équidés de médiation perçoivent l’humain de manière générale. Explorer cela renseignerait sur l’impact chronique que l’équithérapie pourrait avoir sur le bien-être des animaux.
Noémie Lerch, d’autres chercheurs du laboratoire d’éthologie animale et humaine (Rennes) et des collaborateurs italiens ont ainsi souhaité savoir comment le cheval perçoit réellement ce type d’interactions : être un cheval thérapeute donne-t-il une mauvaise image de l’humain ?
En mettant les équidés face à une personne inconnue, les chercheurs s’attendent à des différences de comportements (positifs/négatifs, nombre d’interactions engagées) en fonction :
De l’activité (équitation classique et/ou médiation) ;
Des conditions de vie (alimentation et hébergement) ;
De caractéristiques individuelles (âge, sexe, race).
Méthode
Les chevaux de l’étude
L’étude implique 172 poneys et chevaux de centres équestres européens. Les équidés de l’étude travaillent soit en tant que chevaux d’équitation classique, soit en tant que chevaux de médiation uniquement, ou bien sont impliqués dans ces deux activités (Figure1).
L’expérience : test de relation à l’humain
Un test souvent utilisé en éthologie a été choisi par les chercheurs : le “test de présence passive”. Il s’agit de tester la réaction spontanée d’un cheval face à la simple présence d’une personne inconnue.
Seuls les comportements dirigés vers l’humain sont ici pris en compte :
Les comportements positifs – oreilles en avant (regarde, approche, sent…)
Les comportements négatifs – oreilles en arrière (évite, menace…)
Les comportements ambigus – oreilles latérales, dissociées ou comportements potentiellement liés à une frustration (secoue la tête, mord les vêtements, pousse…).
Résultats
En fonction de l’activité (facteur primaire)
Les chevaux utilisés uniquement en médiation ou en activité mixte (médiation et équitation) ont exprimé significativementmoins de comportements positifs envers l’humain que les chevaux utilisés en équitation classique (Figure 3).
Lorsque l’on prend en compte tous les comportements (positifs, ambigus ou négatifs), les chevaux de médiation (dont ceux en activité mixte) interagissent significativement moins avec l’humain que les chevaux d’équitation classique (Figure 4).
Des facteurs secondaires influençant la réaction des chevaux sont également ressortis dans les analyses : les conditions de vie et certaines caractéristiques individuelles ont en effet joué un rôle. Ces analyses sont détaillées dans la partie En savoir plus sur les résultats.
Discussion
Les auteurs mettent en garde sur l’interprétation des résultats concernant la valence des comportements. En effet, dans l’étude, les regards dirigés vers l’humain sont particulièrement nombreux et ont été comptés dans les comportements positifs, contrairement à d’autres recherches scientifiques.
Un élément intriguant selon les chercheurs est le manque de recherche d’interactions des chevaux de médiation envers la personne inconnue. Les auteurs se questionnent : un tel manque d’interactions reflète-il un bien-être compromis, ou bien est-il le fruit d’un apprentissage (non-réponse aux surstimulations lors des séances) ? Ce phénomène n’est pas sans rappeler un état apathique, et donc à considérer potentiellement comme un indicateur de mal-être. À ce jour, même si les recherches concernant l’impact de l’équithérapie sur le bien-être des chevaux ne mentionnent pas de problème particulier, le doute persiste.
À l’avenir, il serait notamment intéressant de mener une étude similaire avec des équidés de médiation entraînés par renforcement positif, cette méthode d’apprentissage étant bénéfique à la relation humain-cheval. Les auteurs proposent également de reproduire l’étude en ajoutant une évaluation du bien-être des chevaux, afin de mettre en évidence une possible corrélation.
En savoir plus sur le protocole
Les chevaux
Les 172 poneys et chevaux impliqués dans l’étude sont 93 juments et 79 hongres, tous âgés de 4 à 29 ans.
Les séances d’équithérapie incluent pansage, longe, travail à pied et monté ;
Les personnes en bénéficiant présentent des troubles variés, physiques et/ou psychologiques.
Quelques mots sur les conditions de vie :
Les chevaux sont logés en box individuel ou en stalle avec des congénères, avec une litière de paille/copeaux ou sans ;
Tous sont nourris avec du foin, de moins de 3 kg par jour à plus de 9 kg ;
Certains chevaux ne sont pas complémentés en grains, tandis que d’autres ont 1/2/3 repas de granulés par jour.
L’expérience : test de relation à l’humain
Le test se déroule dans un environnement familier des équidés, ici le box ou la stalle.
Cette expérience doit être réalisée dans un contexte calme, le test se déroulant ainsi :
L’expérimentatrice entre, puis se tient dos à la porte fermée durant 5 minutes, sans bouger ni interagir avec l’équidé.
Elle dicte alors les comportements effectués par le cheval – cela est enregistré grâce au matériel adéquat. Une caméra placée dans le box filme également la session de test.
Note : les quatre expérimentatrices de l’étude se sont entraînées au préalable afin de s’assurer de relever les comportements de la même façon, avec fiabilité.
Les comportements analysés
Les comportements des chevaux sont relevés grâce à une méthode nommée focal animal sampling : on se focalise sur un seul individu et on note la fréquence de ses comportements d’intérêt (ici dirigés vers l’humain) durant une période donnée (ici 5 minutes, durée du test).
En savoir plus sur les résultats
En fonction des conditions de vie (facteur secondaire)
Les chevaux recevant quotidiennement plus de 3 kg de foin cherchaient plus à interagir avec l’humain que les autres.
Hypothèses
Le fait est que les chevaux ont besoin d’ingérer des fibres en continu, au risque de subir des douleurs gastriques. Ces douleurs peuvent entraîner une agressivité envers l’humain, un signe de mal-être. Ainsi, ceux ayant reçu plus de 3 kg de foin quotidiennement ont une alimentation qui se rapproche un peu plus de leurs besoins naturels, ce qui pourrait expliquer leur meilleure perception des individus de notre espèce.
En fonction des caractéristiques individuelles (facteur tertiaire)
Le type d’équidés, l’âge et le sexe influencent aussi les résultats :
1. Les chevaux interagissent plus avec les expérimentatrices que les poneys.
Hypothèses
D’autres papiers scientifiques vont dans ce sens, mais il y a également des recherches mettant en avant des résultats contraires. Les auteurs supposent que ce résultat pourrait être un simple effet secondaire de la sélection des équidés par les écuries en fonction de certains traits de personnalité, plus que du type lui-même (poney ou cheval).
2. Les plus jeunes (<15 ans) se sont avérés les plus interactifs.
Hypothèses
Les jeunes font souvent preuve de plus de curiosité envers l’environnement que des chevaux plus âgés, interagissant plus socialement : c’est ce qui a été montré lors d’autres études, appuyant les résultats de Noémie Lerch et son équipe.
3. Les hongres interagissent plus avec la personne inconnue, lors du test, que les juments.
Hypothèses
De nombreuses études sur le comportement des chevaux domestiques indiquent que les hongres sont plus interactifs sur le plan social. Il est ainsi possible que cette tendance se retrouve lors d’interactions interspécifiques. D’autres études sont cependant requises pour explorer la question.
Lerch N., Cirulli F., Rochais C., Lesimple C., Guilbaud E., Contalbrigo L., Borgi M., Grandgeorge M., Hausberger M. (2021). Interest in Humans: Comparisons between Riding School Lesson Equids and Assisted-Intervention Equids. Animals, 11(9), 2533. https://doi.org/10.3390/ani11092533
Bibliographie intéressante
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Grandgeorge M. & Hausberger M. (2018). La médiation équine. Qu’en pensent les scientifiques? In: Choix, Éducation et Bien-Être des Chevaux de Médiation. IFCE : Genève, Suisse ; pp. 161–181. ISBN 978-2-915250-63-3.
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