Comment évaluer les boiteries chez le cheval monté ? (Dyson, Berger, Ellis et Mullard 2017)

Résumé

Boiterie : les 24 signaux qui doivent vous alerter chez le cheval monté

Chacun sait qu’il est souvent difficile pour le non professionnel de se rendre compte qu’un cheval monté boite légèrement. Dans cette étude, des chercheurs en éthologie aidés de vétérinaire ont cherché si certains comportements pouvaient être associés à des boiteries. Les chercheurs ont étudié 120 indicateurs, allant de la position des oreilles à la rupture d’allure. Vingt-quatre de ces indicateurs ont été observés beaucoup plus souvent (voire uniquement) chez des chevaux qui boitaient. Ainsi les défauts d’allures comme le fait de trébucher, de se traverser ou de changer de pied au galop sont apparus comme les signaux les plus corrélés à la présence de boiterie. La présence simultanée d’un nombre important de ces indicateurs est aussi corrélée à la présence de boiterie. Ces résultats sont très intéressants car ils montrent que des comportements que l’on attribue souvent à un manque d’éducation ou d’obéissance du cheval peuvent en fait être la signature d’une douleur.

Ces résultats sont très prometteurs mais il faut noter quelques limites. Cette étude ne permet pas de différencier un comportement d’opposition, un inconfort lié à la pression ou aux compétences du cavalier, ou un comportement lié à la douleur. Certains comportements sont peut-être aussi liés aux embouchures, ce que le protocole de cette étude ne permet pas d’étudier. De plus, concernant l’échantillon de chevaux sains, ils ont été observés plus longtemps et dans un environnement plus familier, alors que les chevaux boiteux étaient dans un environnement nouveau et montés par un cavalier inconnu. Cela a pu biaiser les résultats.

Protocole

Un protocole en deux étapes :

1. Etude préliminaire : construction de l’éthogramme à partir de 117 indicateurs

Les chercheurs observent 9 chevaux (3 sains, 6 boiteux) pour choisir les comportements à observer dans l’étude. Ces chevaux sont filmés montés pendant 5 minutes : trot en ligne droite et voltes, galop, aux deux mains. Avec un vétérinaire, les chercheurs déterminent si les chevaux sont boiteux et quels sont les indicateurs comportementaux qui semblent pertinents pour l’étude. Ils constituent ainsi l’éthogramme pour cette étude.

2. Corrélation de l’éthogramme à 27 indicateurs avec la boiterie chez 37 chevaux

L’étude porte sur 13 chevaux sains et 24 chevaux boiteux. Les chercheurs filment ces chevaux sous 4 angles différents lors d’une séance de travail incluant : trot en ligne droite et voltes, galop, le tout aux deux mains. Ils analysent ensuite les vidéos avec la grille d’indicateurs définie lors de la première étape de l’étude.

Figure 1 : le protocole

Résultats

La première étape de l’étude a permis d’identifier 24 indicateurs comportementaux associés à une boiterie.

Tableau 1: éthogramme final
Tableau 1: éthogramme final

Dans la deuxième partie de l’étude, les chercheurs observent une moyenne de 2 indicateurs chez les chevaux sains et une moyenne de 9 indicateurs chez les chevaux boiteux. Il y a une forte corrélation entre la plupart de ces indicateurs et une boiterie. Tous les indicateurs, excepté « Tête derrière la verticale pendant plus de 10 secondes », apparaissent davantage chez un cheval boiteux que chez un cheval sain.

Résultats sur l'ensemble des indicateurs
Figure 2 : résultats tous indicateurs confondus

Cet éthogramme pourrait donc servir à repérer les boiteries chez le cheval monté et contribuer à l’amélioration du bien être du cheval.

La figure 3 montre les résultats pour les trois catégories d’indicateurs retenus: faciaux, corporels, et d’allures.

Figure 3 : Résultats par familles d’indicateurs. Le diagramme utilisé est un diagramme en boite à moustaches.

Dans les deux cas, les étoiles oranges représentent le degré de significativité des écarts observés. Avec ***, il est très peu probable que l’écart soit dû au hasard et le résultat est donc significatif.

Au vu de ces résultats, à partir de huit de ces indicateurs observés chez un cheval sur une période de 3 à 5 minutes, le cavalier ou l’entraîneur doit suspecter une boiterie et consulter un vétérinaire.

Discussion

Les auteurs notent que cette étude ne permet pas de différencier clairement un comportement d’opposition, un inconfort lié à la pression ou aux compétences du cavalier, ou un comportement lié à la douleur. Certains indicateurs associés à la boiterie peuvent être en lien avec le type de mors utilisé, les compétences et l’équilibre du cavalier et son usage des rênes. Il conviendrait de développer des analyses concernant les différents types de bride. Cependant le protocole de cette étude ne permet pas de faire de lien entre les indicateurs et le type d’embouchure.

Il existe aussi deux biais concernant le contexte et l’usage des vidéos : les vidéos utilisées pour les chevaux sains sont plus longues, laissant plus de temps au cheval pour émettre un comportement de l’éthogramme. Ensuite les chevaux sains ont été filmés dans leur environnement de travail habituel avec leur cavalier (vidéos faites pour l’étude), alors que les chevaux boiteux ont été filmés dans un environnement nouveau avec un cavalier qu’ils ne connaissaient pas (vidéos faites pour l’Animal Health Trust lors d’examens vétérinaires). Un cheval dans un environnement inconnu, avec un cavalier inconnu peut certainement émettre davantage de comportements d’inconfort.

Certains indicateurs ne sont apparus que chez les chevaux boiteux, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas apparaître chez des chevaux sains. Les indicateurs ne peuvent être pris séparément et constituent un ensemble cohérent qui permet d’évaluer la douleur chez le cheval.

Il reste des indicateurs non évalués par cette étude qui pourraient être pertinents mais qui nécessitent un protocole d’observation différent: grincement des dents, ronflement, taux de transpiration, raideur du dos, absence de contact dans les rênes.

Malgré les approfondissements encore nécessaires pour finaliser cet éthogramme, les premiers résultats sont plutôt concluants et ils permettent déjà une prise en considération de certains comportements du cheval comme un signe potentiel de douleur. C’est une grande avancée pour l’amélioration du bien-être du cheval.


En savoir plus sur le protocole

Quel était le protocole exactement?

Figure 1 : le protocole

Etape 1 : Développer et tester un éthogramme

Sue Dyson (Spécialiste en orthopédie équine au Royal College des chirurgiens vétérinaires et Instructrice à la British Horse Society) et Jeannine Berger (Diplômée en Comportement et Bien Être Vétérinaire au American College) commencent par créer un éthogramme du cheval monté constitué de 117 marqueurs comportementaux.

Les chercheurs filment 9 chevaux montés pendant environ 5 minutes, dont 3 sains et 6 boiteux (trot en ligne droite et voltes, galop, aux deux mains). Une vétérinaire équine analyse les vidéos et relève sur une grille la présence ou l’absence des 117 indicateurs pour chaque cheval. Elle fait cette observation pendant 5 minutes et remplit la grille deux fois pour chaque vidéo. Deux nouvelles analyses sont faites en séparant les actions au trot et au galop.
Cette première étape a permis de retenir 27 indicateurs pertinents, c’est-à-dire observés chez les chevaux boiteux et dont l’écart de présence entre cheval sain et cheval boiteux est significatif (p < 0.05). Certains indicateurs de mouvements et de résultats similaires sont rassemblés sous un seul descripteur (par exemple les différentes variantes de la ruade).

Etape 2 : Corréler l’éthogramme et la boiterie

Les chercheurs mettent en pratique le répertoire comportemental défini en observant 37 chevaux préalablement examinés : 13 chevaux sains et 24 chevaux boiteux. Les chevaux sont filmés en moyenne 4 minutes, sous 4 angles différents et sur différentes actions : trot en ligne droite et voltes, galop, aux deux mains et transitions.
Ce sont tous des chevaux régulièrement travaillés pour le sport (dressage ou saut d’obstacle).
Les chercheurs analysent ces vidéos avec la grille d’indicateurs définie par le répertoire comportemental. La grille est remplie au minimum 4 fois (trot en ligne droite, trot en cercle, galop en ligne droite, galop en cercle) pour le même cheval.

Etape 3 : Analyse des données

  • Lors de l’analyse des vidéos, les mouvements notés sont : trot en ligne droite, trot en cercle, galop en ligne droite, galop en cercle, changement d’allure. Pour chaque vidéo d’un cheval, les chercheurs comptent le nombre d’apparition de chaque indicateur (par exemple : changement répété de la position de la tête : 3 fois, oreilles tournées vers l’arrière plus de 5 secondes : 0 fois).
  • Les indicateurs sont ensuite regroupés par famille : allure, face, corps. Les chercheurs construisent alors le nombre moyen d’apparition de cette famille d’indicateur en divisant la somme d’apparitions obtenues par le nombre de mouvements observés :
    • Nombre moyen d’indicateurs observés (pour une famille donnée) = (Nombre d’indicateurs observés d’une famille donnée) ÷ (nombre de mouvements)
  • La moyenne du nombre totale d’indicateurs est ensuite calculée en sommant l’ensemble des nombres d’apparition des indicateurs, et en divisant par le nombre total de mouvements observés
    • Nombre moyen d’indicateurs observés (éthogramme)= (Nombre d’indicateurs observés) ÷ (nombre de mouvements)

 

Les nombres moyens d’indicateurs observés sont ensuite comparés entre la population de chevaux boiteux et celle de chevaux non boiteux. Des tests statistiques sont réalisés pour savoir si la différence entre ces moyennes est significative (une, deux ou trois étoiles sur les graphes) ou pas (pas d’étoile sur les graphes).

En savoir plus sur les résultats

Quels sont les résultats ?

Les chercheurs ont observé en moyenne 9 occurrences des indicateurs de l’éthogramme pour les chevaux boiteux contre 2 pour les chevaux non boiteux. Cette différence est fortement significative : les tests statistiques montrent qu’il est très peu probable que cette différence soit due au hasard.

Résultats sur l'ensemble des indicateurs
Figure 2 : Moyenne du nombre d’indicateurs mesurés pour chaque cheval, selon qu’il est boiteux ou non

Lorsque les chercheurs regroupent les observations par famille d’indicateurs (faciaux, corporels, d’allure), le nombre d’indicateurs observés chez les chevaux boiteux reste plus grand (et très significatif) que celui observé chez les chevaux sains.

Figure 3 : Résultats par familles d’indicateurs

Conclusion : on observe bien une corrélation entre l’observation de plusieurs indicateurs de l’éthogramme et la présence de boiterie.

Références

Références

Cet article a été résumé par Chloé Fournet. Il a été relu par Émilie Fallet et Stéphanie Ronckier. Les illustrations sont de Claire Béjat. Cet article a été édité par Stéphanie Ronckier.

Référence complète de l’article

Sue Dyson, Jeannine Berger, Andrea D. Ellis, Jessica Mullard (2017). « Development of an ethogram for a pain scoring system in ridden horses and its application to determine the presence of musculoskeletal pain.” Journal of Veterinary Behavior, 23, p. 47-57.
L’article original

Bibliographie citée par l’article

Dalla Costa, E., Stucke, D., Dai, F., Minero, M., Leach, M., Lebelt, D., 2016. Using the horse grimace scale (HGS) to assess pain associated with acute laminitis in horses (Equus caballus). Animals 6, p. 47.

Dyson, S., Berger, J., Ellis, A., Mullard, J., 2017. Can the presence of musculoskeletal pain be determined from the facial expressions of ridden horses (FEReq)? J. Vet. Behav.: Clin. Appl. Res. 19, p. 78-89.

Mullard, J., Berger, J., Ellis, A., Dyson, S., 2017. Development of an ethogram to describe facial expressions in ridden horses (FEReq). J. Vet. Behav.: Clin. Appl. Res. 18, p.7-12.

Van Loon, J., Van Dierendonck, M., 2015. Monitoring acute equine visceral pain with the Equine Utrecht University Scale for Composite Pain Assessment (EQUUSCOMPASS) and the Equine Utrecht University Scale for Facial Assessment of Pain (EQUUS-FAP): a scale-construction study. Vet. J. 206, p. 356-364.

[Résumé] Un éthogramme pour repérer les boiteries chez le cheval monté – Dyson et al., 2017
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