L’ébrouement, signe de bien-être du cheval

Bannière montrant un poney gris s'ébrouant

Résumé

Introduction

Vous faites tranquillement brouter votre cheval. Soudain, il expire bruyamment en faisant vibrer ses naseaux. C’est un ébrouement. Vous vous dites que cela lui prend aléatoirement quand la poussière lui chatouille le bout du nez. Pourtant… Chez d’autres mammifères ongulés, l’ébrouement sert d’indicateur de bien-être. On le qualifie « d’indicateur positif » car sa présence est synonyme d’émotions positives. Dans cette étude, Stomp et son équipe ont montré que cela était également valable pour les chevaux ! Ils dévoilent ainsi le premier indicateur positif acoustique du bien-être équin.

Protocole

Les chevaux

48 chevaux sont répartis en 3 groupes. Les deux premiers vivent en conditions dites “restrictives”, à savoir en box (à 50%, ou plus de 90% du temps). Le troisième vit en conditions dites “naturelles”, soit en groupe stable au pré. 

Les mesures

Deux expérimentateurs prennent les mesures en aveugle.

L’un se concentre sur les ébrouements. En s’aidant d’un magnétophone, il recense la production d’ébrouement de chaque cheval. Il les répertorie aussi selon le contexte (box ou pré) et l’émotion immédiate perçue (positive ou négative). Cette dernière est évaluée selon deux indicateurs : l’activité et la position des oreilles.

Figure 1: représentation graphique du recueil de données sur les ébrouements . En s’aidant d’un magnétophone, l'un des expérimentateurs recense la production d’ébrouement de chaque cheval. Il les répertorie aussi selon le contexte (box ou pré) et l’émotion immédiate perçue (positive ou négative). Cette dernière est évaluée selon deux indicateurs : l’activité et la position des oreilles.
Figure 1 : recueil de données sur les ébrouements.

L’autre relève exactement les mêmes indicateurs mais hors situation d’ébrouement. Ce sont les données de contrôle, le but étant de comparer les indicateurs en situation et hors situation d’ébrouement.

 Parallèlement, le deuxième expérimentateur évalue le bien-être global des individus par différents paramètres, notamment le Score Total de Stress Chronique (Stress Chronique). Plus il est élevé, plus le bien-être est bas. Il sera comparé au taux d’ébrouement.

Figure 2 : le deuxième expérimentateur évalue le bien-être global des individus par différents paramètres, notamment le Score Total de Stress Chronique (Stress Chronique). Plus il est élevé, plus le bien-être est bas. Il sera comparé au taux d’ébrouement.
Figure 2 : Mesures du bien-être global.

Résultats

Tous les résultats cités sont significatifs. 

Les chevaux émettent presque 2 fois plus d’ébrouements au pré qu’au box. Ils le font très majoritairement pendant une activité calme et décontractée (le nourrissage dans environ 70% des cas) et quand leurs oreilles sont positionnées à l’avant ou sur les côtés, situations corrélées à une émotion positive immédiate.

 Le taux d’ébrouement et le Stress Chronique sont corrélés négativement : quand l’un augmente, l’autre diminue. Ainsi les chevaux qui émettent le plus d’ébrouements sont ceux avec un Stress Chronique faible. Cela peut donc refléter un niveau plus élevé de bien-être.

Discussion

L’ébrouement peut être représentatif d’une émotion positive, même si cela n’exclut pas qu’il puisse parfois servir à nettoyer les naseaux. Il n’est en tout cas pas produit de façon aléatoire. Stomp et son équipe émettent l’hypothèse qu’il atteste d’une amélioration dans une situation immédiate. Il serait synonyme de relâchement, comme un soupir de soulagement.

La présence d’un indicateur positif, comme ici l’ébrouement, témoigne du bien-être dans lequel se trouve le cheval. Or bien souvent, l’état mental des chevaux est déterminé par des indicateurs négatifs, que l’on définit par une absence de mal-être (stéréotypie, apathie, agressivité, etc…). C’est pourquoi cette étude est une avancée majeure. Elle met en évidence l’un des rares comportements naturels jusqu’ici découverts reflétant un état intérieur positif.


En savoir plus sur le protocole

Chevaux

18 juments, 25 hongres et 5 étalons de 4 à 25 ans et de 18 races participent à l’expérience. Les chevaux au pré (en Conditions Naturelles) sont utilisés pour une équitation de loisir. Les autres vivant à 90% et à 50% au box viennent respectivement d’un centre-équestre A et B.

Tableau 1 : Répartition des sujets de l'étude: répartition des 18 juments, 25 hongres et 5 étalons de 4 à 25 ans et de 18 races en trois groupes. Les chevaux au pré (groupe Conditions Naturelles) sont utilisés pour une équitation de loisir. Les chevaux vivant à 90% au box forment le groupe Centre équestre A et ceux vivant à 50% au box le groupe centre-équestre B.
Tableau 1: Répartition des chevaux.

Mesures

1°) L’ébrouement est-il corrélé à une émotion positive immédiate ?
Figure 1: représentation graphique du recueil de données sur les ébrouements . En s’aidant d’un magnétophone, l'un des expérimentateurs recense la production d’ébrouement de chaque cheval. Il les répertorie aussi selon le contexte (box ou pré) et l’émotion immédiate perçue (positive ou négative). Cette dernière est évaluée selon deux indicateurs : l’activité et la position des oreilles.
Figure 1 : Recueil de données sur les ébrouements.

Le recensement des activités s’appuie sur un éthogramme et la position des oreilles sur une méthode de scan particulière.

Pour évaluer ces deux indicateurs, les expérimentateurs procèdent différemment. Le premier observe par “focal sampling”. Il se focalise sur deux individus pendant 5 minutes. Pour les données de contrôle, le deuxième utilise le “scan sampling”. Toutes les 2 minutes pendant 30 minutes, il note l’activité et la position des oreilles des chevaux. Avec une session le matin et l’après-midi sur deux jours, il obtient 62 scans par cheval.

On compare les conditions dans lesquelles sont émis les ébrouements. Sont-elles majoritairement signe d’émotions positives ou négatives?

 Un plus : Les expérimentateurs ont pu enregistrer les ébrouements de 4 chevaux vivant exclusivement au pré pendant la découverte d’un nouveau pâturage.

2°) L’ébrouement est-il corrélé au bien-être global ?

Le bien-être est mesuré selon plusieurs paramètres.

 – La santé physique :

  1. Le score de condition physique catégorise les chevaux de 0 (maigre) à 5 (obèse) en tâtant 5 endroits précis du corps.
  2. La forme d’encolure témoigne de problèmes dorsaux si elle est « creuse », a contrario de celle « ronde ».

 – La santé mentale par le Score Total de Stress Chronique : plus il est élevé, plus le bien-être est bas. Il est calculé selon  :

1) Le nombre de stéréotypies par heure. Soit des comportements répétitifs anormaux induits par frustration qui provoquent notamment une diminution des capacités cognitives et de la fertilité.

2) Le nombre de réponses agressives durant 3 tests standards de prise de contact avec l’humain (apparition soudaine, approche progressive et présence immobile prolongée).

3) Le temps avec les oreilles en arrière pendant l’alimentation révèle, comme le 2), un inconfort ou une douleur. L’expérimentateur procède à une phase d’habituation avant de prendre ses mesures.

4) Le temps face au mur au box témoigne d’un désintérêt anormal du cheval pour l’environnement extérieur. Ce facteur n’est pas utilisable pour les chevaux restant au pré.

Figure 2 : le deuxième expérimentateur évalue le bien-être global des individus par différents paramètres, notamment le Score Total de Stress Chronique (Stress Chronique). Plus il est élevé, plus le bien-être est bas. Il sera comparé au taux d’ébrouement.
Figure 2 : Mesures du bien-être global.

Pour avoir des résultats fiables, on fait de multiples comparaisons entre les paramètres de bien-être et le taux d’ébrouement par individu. Mais la corrélation la plus intéressante est celle entre le Stress Chronique et le taux d’ébrouement par groupes.

En savoir plus sur les résultats

Tous les résultats cités sont significatifs (p<0,05).

 Au total, les expérimentateurs ont enregistré 560 ébrouements. Tous les chevaux en ont produits sans distinction selon le sexe, l’âge et la race.

         1°) L’ébrouement est corrélé à une émotion positive immédiate.

Les groupes allant au box ont émis 189 ébrouements quand ils y étaient, contre 265 pendant leurs sorties au pré. 8 chevaux n’en ont d’ailleurs jamais produits dans leur box.

Figure 3: Taux d'ébrouement toute activité confondue en fonction du contexte (box vs pré). Les groupes allant au box ont émis 189 ébrouements quand ils y étaient, contre 265 pendant leurs sorties au pré. 8 chevaux n’en ont d’ailleurs jamais produits dans leur box.
Figure 3: Taux d’ébrouement toute activité confondue en fonction du contexte (box ou pré).

L’activité principale enregistrée pendant un ébrouement est le nourrissage (70%). Vient ensuite le pas exploratoire au pré (20%) et l’observation calme au box (24%).

Le temps avec les oreilles en avant ou sur les côtés pendant un ébrouement est significatif (p<0.001).

 → Le plus : Les 4 chevaux découvrant leur nouveau pré ont émis 10 fois plus d’ébrouements par heure !

P<0.05: Dans cette étude, pour qu’un résultat soit significatif, donc non dû au hasard, p doit être inférieur à 0,05.

       2°) L’ébrouement est corrélé au bien-être global

La différence d’ébrouements selon les groupes :

Le plus important taux d’ébrouement au pré appartient au groupe en Conditions Naturelles (p=0,01). Ensuite vient le groupe y allant 6h par jour, puis celui y restant 1 à 4h par jour (p=0,009). Mais au box, le taux d’ébrouement est le même qu’importe les groupes.

 La différence de bien-être selon les groupes :

  • La santé physique : 

Les chevaux exclusivement au pré ont un score de condition physique et un taux d’encolure ronde plus élevé que les autres groupes. Les chevaux à 90% au box sont ceux avec le plus d’encolures creuses.

  • La santé mentale :

Les stéréotypies n’ont été observées qu’au box, avec 63,1% des chevaux venant du groupe à 90% au box et 44,4% de celui à 50% au box. 

66,6% des chevaux à 90% au box ont eu au moins une réaction agressive aux trois tests contre 31,5% de ceux à 50 % au box et seulement une réaction agressive d’un cheval vivant entièrement au pré.

 Le temps passé avec les oreilles en arrière pendant l’alimentation est plus important au box qu’au pré. D’ailleurs, il n’a pas été observé chez le groupe en Conditions Naturelles.

14 sujets en box ont passé du temps face au mur.

Le groupe à 50% au box a un Stress Chronique inférieur à celui à 90% au box. Sans le paramètre « face au mur », les chevaux exclusivement au pré ont un Stress Chronique bien plus inférieur à ceux passant du temps en box, qu’ils viennent du centre-équestre A ou B (p<0,0001).

La différence de bien-être selon le taux d’ébrouement :

 La meilleure preuve reste que plus le cheval a un Stress Chronique bas, plus il a un taux d’ébrouement élevé au pré (p=0,003).

Figure 4: Taux d'ébrouement et stress chronique comparés selon les groupes.
Figure 4: Taux d’ébrouement et stress chronique comparés selon les groupes.

Conclusion

Cette étude est la première et l’unique essayant de démontrer le lien entre ébrouement et bien-être. Or, un seul résultat en science ne fait jamais consensus. Une réplication de l’expérience par d’autres chercheurs pourrait permettre de valider entièrement les hypothèses.

Ces résultats amènent de nouveaux questionnements. L’ébrouement dépend-il d’autres paramètres (le travail du cheval, les conditions météorologiques, la nourriture à volonté, les insectes, la pollution…) ? Son émission a-t-elle une valeur sociale ?

Enfin, les sons non-vocaux équins n’ont encore jamais été clairement répertoriés. Pourtant, cela éviterait les erreurs d’interprétation et de communication entre scientifiques !

Le résumé en vidéo

Références

Références

Cet article a été résumé par Meriem Paris. Il a été relu par Camille Rosa et Sophie Favier. Les illustrations sont de Claire Béjat. La photo de bannière appartient à Laura Armand. La photo de bannière et de miniature appartient à Doberman Blak. L’article a été édité et mis en ligne par Stéphanie Ronckier.

Référence complète de l’article :

Stomp, M., Leroux, M., Cellier, M., Henry, S., Lemasson, A., & Hausberger, M. (2018). An unexpected acoustic indicator of positive emotions in horses. PLOS ONE, 13(7), e0197898. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0197898

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[Résumé]Tendez l’oreille… votre cheval exprime son bien-être !- Stomp et al., 2018
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